Les patronymes : À la bonne vôtre !

Par Alain Kaminski

Mon arrière-grand-père Icek Schlinger (de Schlang, en yiddish, un serpent) tenait un petit estaminet dans une banlieue ouvrière de Varsovie. L’alcool avait toute sa place parmi les noms juifs yiddish. Les distillateurs, Brenner, fabricant d’eau-de-vie, s’appelaient aussi Bronfman, la fabrique d’alcool, Brand ou Brandmann. Les brasseurs Brauen, Beyer, Braumann parfois Piwowarzyk en polonais. Pour le vin, on trouvait des Wajntal (la vallée des vins), des Weiner, le vigneron, des Waintraub, la grappe de raisin. On avait aussi le tavernier, Shenkier, parfois Vigoda en polonais, le mendiant Szleper, l’ivrogne Shiker. Mon bisaïeul, lui, servait aux ouvriers qui sortaient de l’usine de la vodka (petite eau, en polonais), en quantité industrielle, bien sûr, et quand ses clients étaient ivres morts, il ne les servait plus et ceux-ci continuaient avec de l’alcool à brûler acheté chez le juif Aptekier (pharmacien). Ils traitaient alors Schlinger de Judko (petit juif) ou Ropucha (crapaud en polonais) puis cassaient tout. Dans le mitan des années 20, mon bisaïeul maternel quitta le métier pour partir en France avec sa petite famille, sa femme Hena, ses sept enfants, Hanna, Yankel, Rachel, Haïm, Peschka, Bajla et Chloïmé, pour une nouvelle vie, exercer un nouveau métier moins dangereux et bien plus noble, celui de… chiffonnier ambulant. Léhaïm Icek.

Paru dans AJ le 16 juin, N° 1603.