Au revoir chère Marceline

Marceline, elle était toute petite mais si grande.
Pendant quelques décennies, j’ai accompagné mon père chaque premier jeudi du mois pour ce dîner de l’UNDIVG, l’Union Nationale des Déportés, Internés et Victimes de Guerre.
Marceline en était membre et très assidue.
C’était à la brasserie de l’Hôtel Lutetia, quel symbole.
Nous partagions une table au fond de la brasserie, un espace nous était privatisé et ce rendez-vous mensuel était immanquable. Il y avait Marceline, Nathan Rutta, Elie Buszyn, mon père et d’autres anciens déportés. Chaque année, un ancien déporté nous quittait et son départ laissait un vide qu’on ne pouvait combler, un vide déchirant pour tous comme le fut le départ de mon père il y a sept ans.
Marceline animait souvent les débats avant de s’attabler, au moment de l’apéritif.
Elle aimait bien parler Marceline et elle aimait bien les apéritifs Marceline, et on l’aimait bien Marceline. A la fin du repas, une coupe de champagne, ce n’était pas de refus. Après tout, elle en avait vu d’autres Marceline, alors encore un petit verre de plus, une énième cigarette en partant, sa vie lui appartenait mais, insistait-elle, le récit de sa vie elle le partagerait jusqu’à son dernier souffle. Et c’est ce qu’elle fit.
Elle est partie Marceline, je croyais qu’après le départ de son amie Simone Veil, elle ne partirait jamais. J’ai eu l’impression que l’immortalité pouvait exister et que telle serait sa récompense de l’Histoire. Je me suis dit qu’elle avait peut-être promis à son amie Simone, à Nathan, à Elie, ou à mon père qu’elle ne partirait pas.
Mais elle est partie au moment où l’on ne s’y attendait pas car on l’avait vue si récemment sur tous les plateaux de télévision. Elle nous quitte sans préavis, elle qui savait pourtant qu’à chaque départ d’un ancien déporté, la génération suivante se trouverait investie d’une mission paraissant un poids bien lourd à porter.
Un soir, nous étions à table dans cette célèbre brasserie et je lui racontais ce moment si émouvant que j’avais vécu lors d’une cérémonie commémorative au Mémorial de la Shoah.
J’étais aux côtés de mon père qui me présenta à Simone Veil, lui disant simplement «  C’est mon fils Madame Veil ». Elle s’approcha alors de moi et me dit : « Vous ne pourrez jamais témoigner de ce que vous n’avez pas vécu mais restez toujours le témoin d’un témoin ».
L’émotion de l’instant et le trouble du moment firent de mon silence une sorte d’acquiescement.
Désormais, les moments passés avec Marceline me rappellent à l’ordre et m’imprègnent fortement de cette mission, de ces mots de Simone Veil, être le témoin d’un témoin.
C’est promis Marceline.

Alain Kaminski
Secrétaire général de la Fédération des Sociétés Juives de France

Paru dans Actualité Juive le 20 septembre 2018