Billet : Vous avez dit boomer ?

Par Alain Kaminski

J’avais toujours pensé qu’un boomer était une personne née pendant le baby-boom de l’après-guerre, un septuagénaire comme moi par exemple. Et bien ce n’est plus cela du tout et j’en ai fait l’amère expérience lors d’un récent débat avec Sarah, ma fille, qui m’a gentiment « traité » de boomer.
Et d’ajouter que je suis, paraît-il, quelqu’un qui pense que c’était toujours mieux avant ! Le débat était animé car elle et moi parlons deux langues aussi différentes que le swahili et l’islandais avec pour elle des mots venus de je ne sais où et moi mon amour de la grammaire, de la belle syntaxe, avec la vigilance nécessaire face aux barbarismes et aux solécismes toujours en embuscade, si bien que parfois je ne la comprends plus du tout. Elle me dit qu’elle appelle ses copines en roaming, qu’elle sauvegarde sur son cloud, j’en passe et des meilleures.
Je serai donc un boomer.
Je lui ai demandé de me retirer des applications inutiles sur mon smartphone ou mon iPhone, je ne sais plus, et la réponse a fusé : « Mais papa, je t’ai déjà dit cent fois que tu les avais par défaut. »
Chez elle, sur une table basse, on trouve des télécommandes en quantité industrielle dont l’usage m’est décrypté par Rachel, ma petite-fille âgée de 8 ans.
Je pense que je suis effectivement, et pour toute ma descendance, un boomer.
Mais soudain j’entends : « Papy, je change, je vais sur Netflix ! » C’est mon petit-fils Roman, 5 ans, en utilisant une autre télécommande, quand il ne me parle pas de télécharger, de mettre en pause etc. Mais que m’arrive-t-il pour entendre dire en un lieu si éclairé où règnent la paix, la concorde et l’harmonie « Maman ! Papy il ne sait même pas allumer la télé ! » je comprends alors qu’on ne me donne même pas une chance d’être un apprenti !
J’ai donc bien compris qu’on avait officialisé mon statut de boomer.
Et pourtant, j’ai fait des efforts mais rien à faire, leur replay, leur podcast, leur streaming, ce sont ces gosses qui, lentement mais sûrement, ont fait de moi ce boomer. Je pense que le temps qu’il me faudra pour comprendre tout cela permettra à ma petite-fille Anna, âgée de deux mois, d’apporter sa pierre et je compte déjà sur elle, eu égard au manque de patience avéré de son grand frère et de sa grande sœur.
Mais le boomer que je suis a eu droit avec Sarah, sa fille unique et adorée, a une surprise que d’aucuns pourraient dire que c’est le pompon. Il paraît qu’il y a le metavers ! Il me permettrait d’avoir un nouveau costume mais sans l’avoir vraiment tout en l’ayant quand même.
Comprenne qui voudra ou plutôt comprenne qui pourra.
C’est un costume virtuel. Je pourrai l’acheter avec un certificat non pas de garantie mais numérique qu’elle appelle un NFT, « un jeton non fongible », dit-elle, donc rien à voir avec votre jeton de caddy et ainsi…j’ai mon costume.
Je lui ai demandé si je l’aurai pour une prochaine bat-mitzvah, un prochain mariage dans la famille, mais figurez-vous qu’il est virtuel.
Elle a sans doute raison, je suis définitivement un boomer, à défaut de me demander si je ne suis pas déjà moi-même un peu virtuel.
Mais ce n’est pas tout, je pourrais même me le payer, mon costume… avec de la cryptomonnaie, ajoute-t-elle, d’un sourire non dissimulé.
Bon, j’en ai marre, je m’installe devant l’ordinateur pour voir si Ameli m’a bien remboursé ma dernière ordonnance avec le nouveau dosage d’Irbesartan/Hydrochlorothiazide 300mg/12,5mg pour ma tension. Impossible, je m’énerve et j’entends « Mais papy, t’es sur l’ordi de papa, il faut que tu te déconnectes, puis que tu te reconnectes avec ton identifiant et ton mot de passe. »
Ça devient insupportable cette vie de boomer, je retourne sur le canapé et je pense, je réfléchis, je doute, tout en essayant de ne pas fustiger la technologie à l’instar d’Alfred de Vigny qui refusait le chemin de fer quand il écrivit son magnifique poème… Adieu voyages lents.