Le billet : Les mères juives…

Par Alain Kaminski

Elles sont très possessives, c’est bien connu.
Mais les pères juifs, moins démonstratifs, le sont parfois tout autant sous des formes différentes.
Chez les ashkénazes, on n’est jamais tranquille. Moi-même, tant que ma fille, mes petits-enfants ne sont pas rentrés de vacances, revenant parfois du bout du monde, je ne suis pas tranquille. Mon regretté père disait toujours à ses enfants et petits-enfants : «Tant qué vous né sérez pas rontrés tous à la maison, moi jé né dormirai pas ». Et au retour de tous, tant qu’il n’avait pas eu toute sa petite tribu au téléphone, il restait inquiet. Je l’entends encore dire : « Est-cé qué l’avion il s’en est bien posé facilement ? Il y en avait di monde sir la route ? ».
Avec les années qui avancent à grands pas, je deviens la copie conforme, pardon on doit dire désormais le copier-coller, de mon père jusqu’à demander à ma fille ou à mon gendre pourquoi ont-ils besoin d’aller à des milliers de kilomètres en vacances avec trois petits dont un bébé de six mois.
Chez les séfarades même principe mais parfois avec une petite nuance, on appelle le fils, la fille mais rarement le gendre ou la belle-fille. La notion de pièce rapportée existe bel et bien mais ne faisons pas une généralité, il y a quand même des belles-mères qui adorent leur gendre même si personnellement je n’en connais pas ou qui ont de l’affection pour leur belle-fille même si elles n’en font pas toujours montre. Mais ces mères juives font partie de notre folklore, et si elles n’existaient pas nous aurions été tentés de les inventer. Il arrive, c’est vrai, que la pièce rapportée se transforme en pièce détachée, qu’un gendre ne devienne que le mari de la fille ou qu’une belle-fille ne reste que celle qui a épousé le fiston. Au cours des décennies écoulées, le fossé culturel installé entre les « ashké » et les « séf » a parfois été source d’incompréhension mais force est d’admettre qu’avec les nouvelles générations les situations ont bien évolué, enfin bien souvent. Sans oublier qu’il existe chez les juifs un lien spécifique, le mach’hatan, au pluriel mach’hatanim, ou méch’iten et mach’atounem au pluriel à la yiddish, et qui définit un statut, par exemple celui de ma vieille maman et de ma belle-mère à savoir ces deux personnes ont marié leurs enfants ensemble. Un statut qui a pour vocation de rapprocher les cœurs en même temps que les mains.
Alors, par les temps qui courent mes chers lecteurs, n’oublions pas que la famille est ce que l’on a de plus précieux, ce que nous nous devons de préserver. Nous devons veiller à son unité et nous placer au-dessus de toutes les broutilles qui peuvent lézarder la richesse qu’elle représente. Sachons faire un pas de côté au-delà des différences et des différends qui ne sont souvent que fadaises, balivernes ou billevesées.
Si un frère ou une sœur ne vous parle plus beaucoup, une grande table bien traditionnelle au moment des fêtes, harengs gras recouverts d’oignons rouges ou poivrons rouges noyés dans une mer d’huile, saura placer les uns et les autres sous le niveau de l’égalité la plus parfaite et installer un moment de bonheur qui n’aura pas son pareil. Et pour ceux dont la famille est des plus restreintes, les amis très chers peuvent apporter un lien de parenté qu’on appelle la fraternité.
Enfin, si une belle-mère vous vouvoie depuis un demi-siècle, c’est stupide mais pas très grave car dîtes-vous bien qu’il y a des langues vivantes où n’existe que le vouvoiement ou le tutoiement alors passez à côté de tout cela.
Et si un enfant est excédé comme ma fille qui m’a dit récemment qu’elle avait deux mères juives, sa mère et son père, alors pas grave non plus, je trouve cela même magnifique.