Billet : Au nom de tous mes péchés, je le promets

Par Alain Kaminski

Les hasards du calendrier ont fait que pour la première fois depuis quelques décennies, je n’étais pas en famille pour Roch Hachana. Ce télescopage des calendriers hébraïque et civil a fait que le premier restait de l’hébreu quand le second me fit perdre mon latin et Dieu savait pourtant que j’avais étudié l’hébreu après avoir fait tant d’années de latin.
Mon gendre fut surpris, ma fille me lança un regard courroucé et mes petits-enfants n’ont pas compris ce qu’il s’était passé cette année-là. L’histoire est que je me trouvais à ce moment au Portugal, à flâner avec mon épouse au bord du Tage pour fêter en ces premières belles journées d’automne mes soixante-dix printemps, un projet échafaudé de longue date et qui avait malheureusement fait litière d’un calendrier soli-lunaire.
Je me suis donc précipité dès mon retour, moi l’observant occasionnel mais le respectueux des traditions, pour effectuer cet acte symbolique qui consiste à me rendre près d’un plan d’eau pour me débarrasser de mes péchés, rituel du Tachlikh, littéralement je jetterai en hébreu, de l’infinitif lishloa’h, envoyer. La Seine, traversant ma commune de résidence, le poisson y étant foisonnant, j’ai imaginé leur assurer une abondante reproduction en leur jetant du pain de mie à défaut d’agiter sur zone les quatre coins de mon talith resté au placard. Je me suis retrouvé au milieu de pêcheurs confortablement installés pour taquiner le goujon et qui se demandaient ce que je faisais là avec mon pain de mie. Je leur expliquai qu’il y avait des péchés avec un accent aigu et d’autres avec un accent circonflexe , ils m’ont pris pour un fou mais finalement, peut m’en chaut. Bien entendu, pendant cette distribution les poissons arrivèrent en bancs, la bouche grande ouverte, presque debout et à l’ordre, j’eus l’impression qu’eux aussi voulaient me souhaiter Chana Tova pendant que je cherchais à lister mes péchés.
Mais qu’avais-je donc fait de si mal hormis mon absence pour Roch Hachana ?
Certes, je ne suis toujours pas le gendre idéal, je préfère le hareng gras à la tchakchouka, le raifort à la harissa, j’en passe et des meilleures. Mais est-ce un péché tout cela ?
Certes, dans certaines sphères, je ne suis guère plus préoccupé par le passage à six dirhams du prix du ticket de tramway à Casablanca que du temps mis par Ingvar Dalqvist pour dessiner un gobelet en plastique pour Ikea. Mais est-ce un péché ?
Certes, mon statut de pièce rapportée métamorphosé en pièce détachée dans certaines sphères m’indiffère totalement. Mais est-ce un péché ?
Je continuai ma distribution de pain de mie, j’avais déjà l’impression d’être à la tête d’un élevage, d’une industrie piscicole à moi tout seul. « Eh, pépère, tu vas continuer longtemps comme ça » ont fini par me dire les curieux autour de moi. Je leur répondis « Je cherche mes péchés et dès que j’en trouve un, je vous promets, je m’en vais ». C’est vrai que je me livrais à un détournement de clientèle, les poissons se dirigeaient vers moi mais finalement, ces vertébrés aquatiques venaient de me délivrer de mes péchés puisque je venais d’en trouver un et il était de taille. Je me suis rendu compte que j’avais rendu visite une fois par semaine à ma vieille maman qui aura cent ans dans quelques mois. Oui, une fois par semaine ce qui faisait pour l’année écoulée environ à peine une cinquantaine de fois. C’est, me direz-vous, notoirement insuffisant. Il était là mon péché.
Je vais dès demain changer tout cela, prendre de nouvelles dispositions, rendre mes visites plus nombreuses, rendre plus fréquents nos petits jeux consistant à se remémorer les bonnes petites phrases yiddish de ses parents. Il était là mon péché. Je la verrai plus souvent et je lui apporterai du hareng gras, des oignons hachés et je demanderai à Madeleine Szmul, la reine du pied de veau en gelée, de lui en préparer davantage.
Il était donc là mon péché. Que dire ?
Que ma conscience soit à jamais sans reproche.