Billet : Conversation avec l’au-delà
Par Alain Kaminski
J’avoue que je n’ai pas bien compris ce qu’il m’arrivait. Cela fera bientôt quinze ans que mon regretté père m’a quitté. Et subitement, entre deux examens médicaux en milieu hospitalier, une conversation jadis interrompue lors d’un après-midi bien tranquille m’a donné envie de la reprendre et de la poursuivre. Et la même envie, de là où il repose en paix, lui arriva.
Mors ultima linea rerum, la mort est la fin de tout et seul le néant règne écrivait Horace dans les Odes. Mais mon père n’avait jamais fréquenté Horace et c’est tant mieux.
Alors on a parlé et ses mots m’ont fait du bien, ceux-là mêmes qu’il prononçait en français avec son accent yiddish, ou en yiddish avec un accent polonais et parfois en polonais avec un accent français, bref aucun mot dit correctement mais restant toujours justes et parfaits. On parlait d’antisémitisme, il me rappelait que j’appartenais à une génération qui depuis des siècles n’avait pas connu de guerre. C’est bien vrai. Mais était-il visionnaire ? Je n’en sais rien. Et d’ajouter que je ne connaissais pas l’antisémitisme que tout un pays pouvait accepter jusqu’au plus haut sommet de l’Etat et dans tous les domaines. Mais était-il encore une fois visionnaire ? Je n’en sais rien.
Il me racontait que son père Majer aimait beaucoup l’opéra mais faute de moyens, il ne pouvait se rendre que sur les parvis de l’Opéra de Varsovie où du balcon le baryton russe Fedor Chaliapine chantait quelques minutes avant la représentation pour les Varsoviens n’ayant pas les moyens d’aller au spectacle. Mais auparavant l’artiste demandait s’il n’y avait pas de juifs dans la foule auquel cas il ne chanterait pas. Alors mon père, avec son père et son petit frère Reouven, ceux-là mêmes qui auraient pu être mon grand-père et mon oncle s’il n’y avait pas eu Treblinka, criaient « Nie, tutaj nie ma żydów » littéralement, Non il n’y a pas de juifs ici. Et ainsi ils purent écouter Chaliapine. Et puis je disais à mon père qu’aujourd’hui on interrompait des concerts à Paris parce que le chef d’orchestre était juif, qu’on boycottait des artistes parce qu’ils étaient juifs, il n’arrivait pas à me croire. Mais si papa, lui dis-je, l’antisémitisme revient, il s‘installe. Mais ne t’inquiète pas papa, ils ne font pas faire des lois qui avaient fait de toi un déporté. Il y a seulement des gens qui n’aiment pas les juifs et on les laisse le dire ouvertement.
« Moi quand je suis rentré du camp, j’avais une grande insuffisance respiratoire, je manquais du souffle » me disait-il, mais ce qu’on respirait c’était la liberté et j’ai fondé ma famille alors je voudrais, ton frère et toi qui êtes nés après la guerre que vous soyez heureux avec vos enfants et vos petits-enfants. C’est tout ce que je demande. Moi ici je dors comme un noir.
Un loir, papa, on doit dire dormir comme un loir et pas comme un noir !
Bon, comme tu voudras, loz mir shlouf’n of shoulem, laisse-moi dormir en paix et surveille bien ta mère, elle va avoir 103 ans, elle doit être fatiguée quand même, fais attention chez elle qu’elle ne tombe pas avec son « ambulatoire » parce qu’à cet âge-là on peut « sé casser lé col de la fémire ».
Oui, papa, on s’occupe bien d’elle, rassure-toi, tout va bien, elle a une meilleure tension que la mienne.



J ai beaucoup aimé ce dialogue entre Alain et son père qui n est plus de ce monde c est très touchant et cette idée qu a eu Alain est passionnante prouvant ainsi que ses parents ne le quitteront jamais
Cher Alain,
Ce billet est très émouvant, bel hommage que cette conservation de père en fils!
la voix du père fait entendre les voix de nos papas à l’unisson, une chorale aux accents et origines différentes, aux timbres plus ou moins graves, et ces différences sont notre richesse, nous Juifs du monde entier,
Pouvoir converser avec ses parents quand ils ne sont plus , c’est notre grande force, une victoire sur la mort. Nous restons leurs enfants, ils nous conseillent dans les moments difficiles et leur voix est en nous, elle nous accompagne. En ces temps difficiles, nous pensons à eux. Comme ils avaient raison : l’antisémitisme est là, toujours là hélas. Il y a 50 ans, mon grand-père voulait me dissuader de placer la mezouza à l’extérieur de la porte palière comme il se doit mais plutôt à l’intérieur de la maison. Je ne l’ai pas écouté.
Mon Très Cher Ami Alain,
Merci pour cette conversation très émouvante.
J’ai eu la chance de rencontrer ton si gentil papa qui m’appelait Laurence, ce qui nous fait rire encore aujourd’hui.
Laurent
Très beau dialogue imaginaire entre un père décédé et son fils!
Suite à l’hommage à M. Léon K: je vous propose de lire / relire Aharon Appenfeld:
son dernier livre avant sa mort “mon père et ma mère” .
Les 1eres pages sur l’écriture, le choix des mots, pourraient bien être dédicacés à ceux qui aiment écrire…A bon entendeur salut!
Bonne lecture
merci mon petit frère pour ma larme a l oeil
Cher Alin
Quel beau dialogue à la fois si juste et si tendre. Comme on le nos chers disparus restent tissés dans le faisceau des vivants
Merci pour ce beau partagé