Billet : Voyage improbable au coeur du Pletzl

Par Alain Kaminski

J’ai bien envie de dire que cela n’arrive qu’à moi.
Je n’avais pas manqué de me rendre récemment au MAHJ, aux Journées européennes de la Culture et du Patrimoine juif, dans la cour de l’ancien Hôtel de Saint-Aignan où se trouve effectivement le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. Mais j’en ai profité pour flâner dans le quartier du Marais, rue des Rosiers, je n’y étais pas allé depuis très longtemps.
Et quelle ne fut pas ma déception. Par cette belle journée d’été, je ne m’attendais pas à cette foule aussi indescriptible que désordonnée, une goinfrerie ambulante, le quartier avait perdu toute son âme juive, quelques traces restent miraculeuses, deux boulangeries et une librairie.
Mais où est ce temps où, jeune homme, j’allais acheter des cornichons au tonneau derrière la porte d’entrée chez Goldenberg ? Où est ce temps où je choisissais mes harengs gras chez Madame Klapish et où est ce temps où je rencontrais mon cher Dominique Selcer qui faisait la queue pour acheter du kasha, cette graine de sarrasin grillée ? Je lui demandais s’il aimait cela et il me répondait « non, c’est vraiment dégueulasse ». Alors pourquoi en achetait-il, lui demandais-je ? Il me répondit : « mon père adorait cela, il en mangeait régulièrement alors j’en achète et j’en mange aussi ». Magnifique tout cela.
Cette fois-ci, je m’attardais pour contempler avec stupeur une interminable file d’attente de japonais payant à l’avance un falafel qu’ils allaient recevoir une demi-heure plus tard. Incroyable, ils paient en faisant la queue ! Je m’arrête, je les observe quand l’un d’entre eux m’interpelle dans un anglais hasardeux, très tonal et monosyllabique qui me fit penser qu’il était chinois, la langue japonaise étant polysyllabique. « Ec kious me sir, from which re-gion of Fran-ce does this sand-wich come from? » Pauvre touriste, guide à la main, qui pensait que le falafel était à la France ce que le pastel de nata est au Portugal. Je lui répondis que ce « sandwich » était originaire du Moyen-Orient et que le meilleur était en Israël chez Djamil à Herzlya au nord de Tel-Aviv. Mais à mon tour je lui demandais d’où venait-il et il me répondit : « I come from Hanzhou ». Bingo ! j’avais gagné, la file d’attente interminable venait bien de cette mégalopole chinoise où le falafel devait probablement être annoncé comme une spécialité du Périgord. Puis je me suis vite engouffré dans cette librairie juive, un véritable sanctuaire. Une vieille dame me prit pour le vendeur et me glissa à l’oreille : « Je pars à Netanya chez ma fille pour Roch Hachana et je n’arrive pas à dormir dans l’avion, est-ce que vous avez un livre à me conseiller ? » Pour ne pas la brusquer ni la tromper, j’adoptai aussitôt un profil de vendeur, il m’allait très bien d’ailleurs, pour lui demander si elle souhaitait une plume très littéraire ou plutôt soporifique. Elle me précisa « je ne sais pas, c’est juste pour l’avion ». Incroyable encore une fois. Un peu désemparé, je lui remis le premier livre à hauteur de vue, Le péché originel de la psychanalyse, Lacan et la question juive, en lui précisant que quatre heures et demie de vol, ça fera l’affaire. Elle me remercia et j’étais heureux. Mon chinois était bien informé, la lectrice pourra s’endormir au décollage et moi, j’avais retrouvé un peu d’âme juive… au Pletzl.