De mon temps…

Je faisais souvent une moue boudeuse quand ils me disaient… de mon temps.
C’est vrai que j’en avais un peu marre d’entendre nos anciens ressasser cette expression « de mon temps », j’avais l’impression qu’on me reprochait d’être né après la guerre.
Mais il n’y a pas si longtemps, évoquant le Covid-19, le président de la République nous apprenait qu’on était en guerre. Les semaines passent, nous sommes confinés puis déconfinés et à bien se tenir sous peine d’être à nouveau confinés.
Tout cela m’interpelle, j’ai bien envie à mon tour de m’autoriser à dire « de mon temps » en parlant d’un temps que les moins de cinquante ans n’ont pas pu connaître.
Mais oui il m’est arrivé lorsque j’étais bien plus jeune de saluer une femme en lui faisant part de mon ravissement de la rencontrer, je lui proposais même de ne pas se déganter. Aujourd’hui, la même femme ne se ganterait sans doute pas, à tort, et me saluerait d’un coup de coude ou de talon aiguille.
Oui de mon temps quand je me rendais à mon lycée Jacques-Decour, il y avait des poinçonneuses au sourire du matin dans ce métro où je suis désormais convié à un bal masqué.
Oui de mon temps on ne se lavait pas les mains autant de fois par jour si bien qu’aujourd’hui je ne sais même plus si je mets du gel sur mes mains ou si j’applique mes mains sur du gel.
Ah de mon temps ma grand-mère Rachel m’attendait sur le quai de la gare à Menton et je savais que le soir j’allais me jeter sur un morceau de pied de veau en gelée ou sur du foie haché. Aujourd’hui, Rachel ma petite-fille m’attend de pied ferme sur le pas de sa porte et je sais que dans mes pas il y aura un livreur de pizzas.
De mon temps, je respirais en flânant, je profitais en musardant, j’allais où bon me semblait avec ardeur, joie et liberté et maintenant on me prévient qu’avec le Covid-19 il y aura un avant et un après. On me précise même qu’au-delà d’une certaine distance, je dois être motivé, une distance à vol d’oiseau. Mais suis-je un oiseau et d’abord quel oiseau fait référence ? Un migrateur qui prend toujours le même chemin, un non migrateur qui s’arrête pour casser la croûte sur le parking d’un routier sympa ? Ou un semi migrateur comme le merle qui prendra un chemin détourné, attiré par le chant d’une merlette aguicheuse ?
Et c’est bien de mon temps que je courtisais une jeune fille de 17 ans pas davantage, une jolie poupée de vitrine, qui allait devenir un an plus tard mon épouse, je l’emmenais au Drugstore de Saint-Gemain des Prés, quel souvenir magnifique, elle était toute assortie, même couleur trois en un,
le petit manteau, le rouge à lèvres et la grenadine, j’y repense souvent surtout quand on sait qu’il n’y a déjà plus d’après à Saint-Germain des Prés.
Allez, si D.ieu veut la vie reprendra force et vigueur mais c’était quand même… le bon vieux temps.

Alain Kaminski
Rueil-Malmaison