L’Afrique du sud
Par Claude Cordier-Roszewitch
La dame de mon agence du Cap m’avait prévenue : si vous acceptez de partiz en safariz en Zafrique qui z’é en le Zud d’üne rézion trez barbaz, où que le lionz impoze sa loi et le zef de village auzzi, et que vous zoziez pousser vers le pays Zoulou et le Swaziland idem, zifaut que zou zachiiez que l’azence ne grantize paz la cazzz., ni le zwiol, ni la brizurre des zwitr’, et l’arazzage des zacs et zautres fiorfaitures inadékouettes en ze lieu. J’avais compris que le clavier de l’agence parlait une langue inconnue mais pas le Zoulou , sinon il y aurait eu des clics et des clocs que seul un bébé de chez nous peut comprendre.
J’avais reçu mes billets électroniques et une minuscule idée de ce que j’allais vivre. Le vol se passa sans encombre, sauf que quémandant un peu d’eau je n’obtenais aucune réponse, l’hôtesse dormait. L’eau c’est un rien pour l’être civilisé, mais tout pour l’animal sauvage. Ainsi dès le voyage on m’inculquait la dure loi de la jungle.
A l’aéroport de Johannesburg, je saisis la voiture entre 2 phares : « Soit, tu n’es pas une 4/4 mais va falloir assurer les pistes, le sable et les arrêts furtifs quand une bestiole croise ta route, il ne faut estourbir personne de vivant ». Elle acquiesça des lanternes, comme quoi nous allions voyager en adéquation. Après quelques heures de route, je parvins, à la nuit, au centre de la réserve très privative, là où les dirigeants vivent bien et plus. Je gare mon auto et disperse mes biens en les mains d’obscures intervenants, qui par leur couleur de peau se fondent dans la noirceur de la nuit africaine. Une 4/4 me transporte moi, l’autre et mes bagages vers un lieu secret. Oups’ c’est la zurprise !
On nous introduit en une bien jolie tente, il est possible de fermer toutes les issues à l’aide de fermetures très éclair, même les moustiques qui ne sévissent pas en hiver n’y entreront pas, mais le vent de l’antarctique, si, et les vents d’ailleurs aussi.
Bref, je suis enventée de partout et j’aurais très froid toute la nuit, malgré la bouillotte (c’est l’hiver il faut s’y faire !) et plus le matin si je veux prendre une douche, et que l’on ne me parle pas de bain en cette belle baignoire type tadlakt marocain à 10°. Dans ma nuit frileuse et insomniaque j’écoute le gentil feulement du léopard qui passe sous mon huis, je la ferme et n’avertis point mon parèdre cinématographe.
Ah j’ai oublié de dire que lorsque je dis Je, c’est nous deux, l’une qui tiens l’appareil photo l’autre la caméra, 4 bras une personne visant le même but : absorber un maximum d’images animalières comme on remplit son caddy de surgelés, plus la pose sera risquée mieux cela vaudra, prêts à tout même à se vautrer parmi les lions, à monter à cheval sur un zèbre et à traire une bufflesse. Comme rien de tout cela ne nous sera permis, mon imagination prendra le pouvoir.
1er jour
Dès 5 H le tam tam des aborigènes salariés, réveille les touristes, j’en suis et m’essuie vivement pour ne point rater le départ du camion vers la folle matinée au milieu des fauves et autres bestioles galopantes, somptueuses, trompeuses, et rugissantes. La faune africaine, à nos pieds Niklés.
« Fait froid », je murmure, entre trois pelures, un Tshirt, dernier vestige de mon départ de Paris fin juillet, un gilet en laine d’alpaca pur péruvien qui avait subit les 3500 mètres et peinait à me réchauffer, plus un pull polaire kakikaka acheté au lodge au cas où.
« Ben, c’est l’hiver » me dit la voisine de siège armée d’un reflex numérique, avec pied, dont le téléobjectif est si long qu’il embroche le nez de quiconque se trouve à moins de 60 cm de sa toque en fourrure artificielle, écologie oblige, emmitouflée comme pour dépasser le Cap de bonne espérance.
Si l’on a tant payé, il faut que le guide offre à nos objectifs de superbes animaux, très proches, très gentils. En cette réserve jouxtant le parc Kruger, les bestioles ont le choix de se déplacer d’est en ouest et du nord au sud, cinq 4/4 parcourent la réserve à la recherche des Big Five : le lion et le léopard, principaux prédateurs et le buffle, le rhino et l’éléphant et par Talky s’interpellent pour situer l’animal intéressant vers lequel la carriole se rue telle mouche sur le miel.
Impalas
Une flopée d’impalas, trop jolies, nous passent sous le nez,
les gnous
et les girafes galopent à nos côtés.
Les zèbres font de la retap, rattrapés par les koudous.
Kudu
Qui dira la beauté du pelage des koudous, poils longs, fauve comme une crinière de lion, rayures en cascades blanches et les bois des mâles torsadés dessinées par le diable lui-même ?
10H Petit déj en brousse :
Petit déjeuner
le guide déballe en explosion une table, des thermos pleines de cafés ou thés brulants, petits gâteaux et autres sandwichs chargés en viandes séchées, dite biltong. Je me souviens qu’au Canada il ne fallait jamais pique niquer dans la forêt car les ours pouvaient exiger le dessert. Là aucun risque, je pense que comme nous avons tous, mâles et femelles, tant pissé autour de la voiture, le territoire est bien marqué, même le plus brave des lions ne s’y osera pas, il est connu que l’humain pue de tous ses précédents carnages.
On repart : Une civette disparait sous les roues, des pintades encombrent le chemin, elles sont belles et rondes, inestimable nourriture pour les prédateurs paresseux
Retour au lodge : Repos, je ne sieste pas, je guette le chant rauque du Yellow horn bill,
sorte de calao laid, qui niche dans l’arbre au dessus de la tente.
16 H Safari à la lanterne
Le guide, bien informé, nous place devant un léopard,
qui lui aussi ne fait que passer, ne chasse pas vraiment, n’a pas encore trop faim, mais si une petite chose genre gallinacé tombait sous sa griffe cela lui ferait un repas simplet et diététique. Et hop, quelque temps après
le sieur léopard se tape un Francolin (zoziau ne sachant pas voler donc facile à attraper) dans les herbes et face à nos yeux ébahis le déchiquette violemment. L’anglaise encombrante crie : Yeeees ! », elle l’a eu dans son objectif, elle est contente, elle ne l’a pas senti, elle ne l’a pas touché, elle ne l’a même pas vraiment perçu, mais elle l’a immortalisé numériquement, elle a rentabilisé son investissement. Le voisin maugrée : J’ai rien vu, coincé comme je suis entre votre appareil et le casque colonial de l’autre. Peu après,trois lionnes et un bébé repu tentent de dormir, la grosse lanterne du 4/4 les éblouit et les réveille. Elles ne bougent pas, elles ne craignent rien de ce monstre métallique qui pue le pétrole, elles sont nées là et savent où est le danger, c’est l’homme à pied, le contrebandier…
Le petit les agace, la lionne vautrée en travers de la piste se lève (avantage de l’hiver où les animaux se regroupent vers le sol chaud des pistes). Elles s’offrent longuement aux caméras et à la lumière, puis disparaissent tranquillement dans le feuillage, doucement comme une sortie de scène théâtrale, côté jardin. Photos superbes, nous dormons repus nous aussi, merci mère nature qui sait nous allouer ces instants précieux.
2è jour
Matin je fixe les arbres et je le vois.
L’éléphant dit : « Ben voilà, je passe certains matins, y’en a qui me causent et pas d’autres, y’en a même qui dorment ou qui écrivent des choses sur un carnet sans me voir. Je m’en vais rejoindre la mare face au restaurant, là où tout un chacun s’abreuvent.
Des fois, tous les 5 ans y’a un couple de rhinos qui ose se pointer pour boire un peu de cette source qui est si bonne, que les singes immigrés du Zimbaboué l’appelle Vittel, comme si on était en France » Je dis : « Ben voila moi aussi je suis ravie de vous rencontrer, vous bousez devant ma tente, et je vous en remercie, mon mari n’a pas encore pris sa douche gelée sinon il aurait été ravi de vous filmer. « Il dit : « Pas grave à la revoyure dans le parc. »
Effectivement nous l’avons rencontré près d’une source,
il était le premier arrivé et s’abreuvait abondamment. En bordure, deux énormes buffles assoiffés patientaient. L’éléphant repu et après avoir inondé joyeusement la tête ronchonne d’un des buffles, se détourna et libéra le lieu.
Les buffles occupèrent la source sans se préoccuper du rhinocéros qui se glissait par la
évitant notre auto mais tout autant assoiffé et patient. Je fais un bref calcul : les buffles mêmes en nombre craignent l’éléphant, le rhino seul a peur des buffles.
L’anglaise hurla « J’ai les 3 big five dans mon objectif, c’est TOOOop ! » On lui intima de la fermer, la scène était grandiose : l’éléphant quittant le lieu, les buffles occupant l’espace et le rhino attendant son tour. Il faut savoir qu’un rhino face à deux buffles se trouve coincé tel un serre livre et n’en sort pas vivant. Il y a de quoi méditer au sujet des frontières que l’homme impose. Si l’animal sait gérer son espace en marquant son territoire par ses excréments, en les répandant sur son chemin en trainant les pattes, il sait aussi tolérer le passage d’autres espèces concurrentes qui font de même.
3è jour
2H du matin, je ne dors pas, je parcours la coursive autour de la tente. Silence. Doucement quelqu’un place sa voix de fauve en dessous mes pieds, ronronne et gratte les poteaux, marque son territoire. Je préviens mon parèdre « Va falloir qu’on se tasse ! », il bougonne « Pas grave c’est comme avec les chattes, sauf qu’il pue. » Je retiens mon « Mais non il sent la friture, c’est l’effet du potato bush…(cf : bosquet à l’odeur de patate frite). Nous ronflons, tous trois tranquilles, jusqu’au tam tam, l’invité quitte la couche et pissant sur un poteau de la tente miaule au revoir.
A 7 heures, le guide nous annonce qu’un léopard a feulé cette nuit près de vos tentes, l’avez-vous entendu ? Réponse négative. Sont tous sourds, parfaits.
10 H départ après le petit déjeuner Nous quittons la réserve pour le parc national KRUGER synonyme de RIGUEUR. L’entrée du parc est comme une frontière, la boutique affiche comment l’on doit se vêtir. Camouflage beige, ou kaki, long shorts, afin de ne pas effrayer l’animal, le but est de se fondre dans la nature, on conseille aussi de bannir les parfums et de se laver au minimum. Ils puent, nous puerons donc.
Ce parc, nous l’avons traversé du nord au sud, avons croisé une foultitude d’animaux de toutes espèces en liberté, certaines traversaient la route asphaltée tranquillement, nous nous sommes demandés pourquoi prendre un guide en ce lieu où les bestioles vagabondent librement. Je note : 11H50 aigle pêcheur sur arbre
(si beau, tête blanche, j’ai failli le confondre avec le symbole américain),
7 hippopotames dans mare, 12 H un gros éléphant mâle, 12 H 04 un gnou, 12 H 06 troupeau de gnous, 12 H 10 troupeau de cobs (ceux que l’on appelle ici waterbuck,car ils sont toujours près d’une source d’eau, on les reconnait grâce à un grand cercle blanc en leur derrière, tout comme pour les impalas aux trois barres blanches qui permettent aux petits de suivre leur mère), 12 H 15 multitude de zèbres, impalas, gnous, 12H50 5 femelles éléphant + 1 bébé, cobs près d’un étang, 15 H 45, 4 Nyala femelles, 16 H éléphants, 3 femelles et un petit, 16 H 25 1 autruche, 16 H 35 troupeau de Nyala, 1 phacochères et multitude d’impalas,
16 H 45 vol de cigognes migratrices,
flot de babouins traversant la route, 17 H 10 civette noire et blanche… Que demander de plus, nous étions gavés et mon carnet de note affichait complet.
Après moult vicissitudes pour trouver le lieu de notre hébergement : suivre un camion de nuit sur une piste improbable, puis nous en remettre en confiance à une jeune fille qui devait nous guider dans la nuit noire et lorsque nous croisâmes un troupeau de 100 buffles, nous intimait de fendre la chose. Sous l’œil fatal du chef des buffles posté en vigie, mon sage conducteur serra le frein, jusqu’à ce que le chef nous indique de passer. Nous avions en tête que cette grosse vache pourfendait l’humain mieux que le rhino.
Le spectacle fut royal et peu photographiable, parfois le destin vous place devant un espace de beauté que seul la mémoire peut enregistrer.
Matin Visite avec guide patenté du Krüger Park, je note rien de plus que la Steenbock, petite antilope de 11 Kg Envie de faire pipi. « Madame il est interdit de descendre à pied dans le bush, les animaux n’ont pas peur de la voiture mais craignent les humains, ils pourraient vous charger ou « Vous manger tout cru » rigola le pisteur de lointaine origine de ceux qui, refoulés par les zoulous pour refus d’autorités vers les montagnes ne purent y survivre qu’en étant cannibales, se dévorant entre eux, à la fin il ne resta que le chef, si gros et ventru qu’il ne pouvait plus bouger. « De plus les autorités interdisent de piétiner les herbes du parc national, ce que vous ferez inévitablement si vous descendez de la voiture » Je réplique : « Monsieur, j’ai constaté que certains individus déposaient de gros excréments sur la piste, pourquoi ne pourrais-je y déposer mon petit pipi ? » « Madame, vous n’avez pas été répertoriée par les hautes autorités du parc et de l’Afrique du sud tout entière en tant qu’animal sauvage et encore moins en voix d’extinction, donc si vous outrepassez les ordres concernant les excréments, nous devrons vous expulser. » « Et quelles sont les règles en la matière ? » « Je vais vous les montrer ». La 4/4 nous emporta vers le vaste lit d’une rivière à sec, là se trouvaient des tonnes d’immondices de toutes provenances. Le guide nous indiqua les excréments provenant des éléphants, le mâle pisse un mètre au-delà de sa bouse, la femelle pisse dessus, le rhino écrase sa bouse et la traine sur son chemin, le buffle aussi, chacun marque son territoire. « Comme quoi, madame, votre petit pipi pourrait perturber toute l’organisation des excréments des animaux libres et sauvages du parc, retenez vous donc. » Ce que je fis jusqu’aux latrines aseptisées du camping d’entrée du parc dit « Crocodile », je ne vis même pas la queue d’un surnageant dans les toilettes.
Conclusion
J’ai vu en ce pays des animaux libres et protégés, peu agressifs, j’y ai rencontré également des humains vindicatifs et beaucoup d‘autres pacifistes.
Depuis la fin de l’apartheid, les blancs, toutes origines confondues, ont tellement peur de l’agressivité vengeresse des noirs, qu’ils barricadent leurs maisons de fils de fers barbelés
En la ville du Cap, qui est si jolie en sa baie illuminée le soir, les touristes ne sortent pas à pied la nuit, lorsqu’ils vont diner leur voiture est gardée par un noir adoubé, leur maison est contrôlée par un noir certifié. Une femme blanche perdue en pays Zoulou m’a fournie la solution pour régler ces questions. Elle est issue d’une famille allemande, tient un restaurant avec une fille Zoulou, n’a rien compris de l’apartheid car en son enfance les enfants blancs et noirs étaient mélangés, elle se sent coupable du génocide proclamé par ses ancêtres Nazis mais annonce qu’il suffira d’une génération pour que l’Afrique du sud ait un visage humain. Mais c’est quoi un visage humain s’il n’est pas aussi animal ?
Retrouvez cet article dans son intégralité, avec toutes ses illustrations, sur le site de Claude Cordier Roszewitch en cliquant sur http://roszewitch.fr/cc/WordPress3/?p=642