Champ libre : La crise qui met à mort le spectacle vivant
par Yaïr Benaïm
Début 2021, froid, incertain. Souvenir de janvier 2020. Un an à peine. Des siècles. J’étais alors plongé dans la préparation de l’Histoire du Soldat avec l’Open Chamber Orchestra et la Compagnie Charactères. L’agitation bourdonnante du monde du spectacle, ces personnes merveilleuses qui règlent décors, affiches, lumières… Le plaisir de diriger ce plateau artistique exceptionnel, 7 musiciens, 3 comédiens et une danseuse de l’Opéra de Paris.
Les répétitions de ce chef-d’œuvre – mariage délicat entre texte et notes, Musique et Théâtre de la pauvreté selon son compositeur Stravinsky – se sont déroulées dans une excellente ambiance, et ont abouti en un spectacle magique auquel a assisté, parmi nos fidèles spectateurs, l’ancien Président de la République M. Hollande. Un accueil enthousiaste du public et de la profession, des promesses d’engagements dans des théâtres, un avenir radieux pour notre jeune orchestre.
Loin d’imaginer la crise sanitaire qui allait s’abattre sur nous quelques semaines après. Chute vertigineuse de l’économie, confinement, deuils… Et parmi cela, les répercussions sur nos Métiers, le spectacle vivant. Ces métiers qui nous choisissent autant que nous les choisissons.
Rideau. Plus de concerts, ni musique, silence des directeurs de théâtre ou organisateurs de festival. Plus de projets qui nourrissent notre âme et auxquels nous travaillons d’arrache-pied. Plus d’argent.
Et les discours : “l’importance de la culture”. Mais au-delà des mots qui donnent bonne conscience, que faire sans recul ? Un concert, c’est une préparation de plusieurs mois ! Comment organiser si les scènes ne savent pas quand elles ouvriront, la jauge de salle permise ? Et le public, sera-t-il au rendez-vous ?
Un silence assourdissant, rendu plus pesant par des initiatives individuelles de concerts diffusés “live” sur Facebook. De maigres arbres qui cachent une forêt désolée.
Aides conséquentes en Allemagne pour les artistes. Pénombre au Pays des Lumières ? A-t-on mesuré l’impact, intellectuel, social et financier, sur les dizaines de milliers de personnes qui répètent rigoureusement depuis leur enfance, nous transcendent par leur Art chaque soir sur scène, font la fierté de la France, et que nous abandonnons aujourd’hui ?
Dans l’Histoire du Soldat, Ramuz fait dire au Diable : “Tu as plus que le nécessaire puisque tu as le superflu”. Il serait temps de décider de la place de la culture en France, entre essentiel et non-essentiel, nécessaire et superflu…