Billet : Regina Letzt “a voté” !

Par Alain Kaminski

Elle est tellement mignonne ma petite maman qui vient d’entrer dans sa 99ème année. Elle est chez elle avec sa dame de compagnie d’origine polonaise qui maîtrise le français comme moi je maîtrise le swahili.
Ma petite maman me tarabuste depuis quelques semaines, elle veut voter pour ces élections régionales et départementales, et aux deux tours s’il vous plaît, mais elle ne peut plus se déplacer seule, bien entendu.
Pas grave j’ai appelé la mairie de son arrondissement de Paris pour dire que ma petite maman voulait voter après lui avoir bien expliqué qu’à Paris elle n’était pas concernée par les départementales qu’on appelait autrefois cantonales. Je ne sais pas si elle a tout compris, peu importe, elle veut voter !
Allez, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis aventuré à téléphoner à nouveau à la mairie pour me faire confirmer les modalités d’une procuration. Mon interlocutrice a été charmante et d’une voix on ne peut plus fluette m’a dit : « Cela serait plus facile que votre maman aille elle-même sur maprocuration.gouv.fr, elle télécharge et fait valider sa procuration au commissariat par les forces de l’ordre ».
C’est magnifique, on a pris ma petite maman pour une start-up, une consécration. Mais ma petite maman m’a tout de suite dit qu’elle n’irait pas au commissariat, que pendant la guerre elle devait s’y rendre et qu’heureusement qu’elle ne s’y est pas rendue, que sa copine y est allée et qu’elle n’est jamais revenue, et d’ajouter « De toute façon, je ne suis plus jamais allée dans un commissariat depuis la Libération ». J’ai rappelé la mairie et la même personne, toujours aussi charmante et d’une voix encore plus fluette, a pris ses coordonnées et m’a dit : « Pas de problème, les forces de l’ordre se rendront chez elle et se présenteront accompagnées par le voisinage ou le gardien de l’immeuble ». Magnifique, elle aura peut-être le droit à trois cars de CRS, qui sait.
Quelques jours plus tard, surprise, on frappe à sa porte, il y avait le gardien de l’immeuble, Françoise une voisine, Jadwiga sa dame de compagnie, trois officiers de police judiciaire et un quatrième en faction en bas devant la porte de l’immeuble. Joe Biden n’en aurait peut-être pas eu autant. Qui m’aurait dit un jour que ma petite maman serait digne de bénéficier d’un nouveau SPHP, le service de protection des hautes personnalités. Qui m’aurait dit un jour que la réduction du nombre de fonctionnaires de police ne concernerait pas ma petite maman ?
Elle a donc répondu à un interminable questionnaire, a raconté toute sa vie, a rappelé qu’elle était Regina Letzt veuve Kaminski, fille de Menahem et Rachel, qu’elle avait toujours voté depuis que les femmes ont le droit de voter, qu’elle avait même été naturalisée avant ses parents etc. j’en passe et des meilleures.
Elle est magnifique ma petite maman, mais tout cela pour me demander : « Alors, pour qui je dois voter, Valérie Mairesse ? « C’est pas Mairesse c’est Pecresse, Mairesse elle fait du cinéma », lui dis-je. « C’est laquelle qui fait du cinéma ? » Peut-être les deux lui ai-je répondu, mais on s’en fout.
« Bon, vote pour qui tu veux, mais pas pour la fille de Le Pen, pas pour Melenchon ni pour les communistes ! » Voilà qui fait montre d’une force de conviction, bravo petite maman.
Mais ma petite maman a trouvé une autre question à me poser et je m’y attendais parce que je la connais par cœur : « Et comment ça se passe avec la procuration si je m’en vais entre les deux tours, faudra le signaler ? » « Ne t’inquiète pas, je ferai le nécessaire, j’irai les voir à l’issue du scrutin pour leur dire que tu as été élue au premier tour et… à vie !»