Théâtre : Un paradoxe du moment
Par Jacques Rozen
Comme nous nous en sommes rendu compte depuis plus de deux ans, le paradoxe est apparu de plus en plus fort dans nos vies. Nous sommes en pleine prise de conscience de toutes nos contradictions qui surgissent de plus en plus dans notre quotidien.
Ce week-end, je me suis trouvé dans un paradoxe particulier : j’ai assisté à deux pièces de théâtre. Toutes les deux magnifiquement jouées, des textes magnifiquement interprétés, des mises en scène superbes. Ceci pour la forme, mais deux pièces avec un fond totalement opposé.
Tout d’abord la pièce qui se joue au Théâtre Antoine : Simone Veil – les combats d’une effrontée.
C’est à ne pas manquer, c’est magistralement joué par Cristiana Riali et Hannah Levin.
La vie de Simone Veil est exposée avec des rappels émouvants sur Auschwitz et sur la reconstruction après-guerre. Tous ses combats ou presque sont évoqués. Bien entendu celui pour le droit des femmes à l’avortement, mais aussi celui pour l’Europe, le statut des prisonniers…
Cristiana Riali est une Simone Veil, impressionnante de justesse. Hannah Levin joue le rôle d’une journaliste commentant la vie de Simone Veil, et le duo est parfait.
Je ne pourrais que vous inciter à aller assister au théâtre Antoine à cette hommage à une femme que la République Française a honorée en lui ouvrant les portes du Panthéon comme dernière demeure.
Dans le même week-end, j’ai eu l’occasion d’assister à un autre spectacle : Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?
Certes Arletty fut une grande actrice, chanteuse. Certes elle se présente comme une femme éprise de liberté, mais surtout de sa liberté. Certes, elle fut séduite par un banquier juif, puis par un marchand de tableaux, et bien d’autres. Mais elle fut aussi une personne qui pendant la dernière guerre et au nom de sa liberté de choix, préféra se complaire avec l’occupant (son amant de l’époque était l’homme de confiance d’Hermann Göring) et jamais ne réalisa le moindre acte de résistance, feignant d’ignorer tous les actes commis par l’occupant. Certes la pièce est parfaitement huilée et nous assistons à la montée en pleine lumière d’une jeune fille issue d’un milieu pauvre, qui réussit grâce à ses diverses compétences, dont celle de beaucoup plaire à la famille Laval, à Céline, etc.
Le cinéma français reconnaît en elle une grande actrice : Hôtel du Nord, Les visiteurs du soir, Les Enfants du paradis, mais nous ne devons pas oublier son comportement pendant l’occupation.
La pièce jouée et chantée expose bien les facettes différentes d’Arletty. Rendons hommage aux acteurs et à l’auteur de n’avoir rien épargné, y compris la fin d’Arletty devenue aveugle.
Avoir au cours du même week-end la possibilité d’assister à un spectacle magnifiant la carrière sulfureuse d’une artiste et un autre spectacle présentant une femme ayant une sœur résistante, une mère morte d’épuisement à Auschwitz, une rescapée de la Shoah qui a su dépasser le conflit avec l’Allemagne pour y séjourner pendant trois ans dans les années d’après-guerre est un paradoxe bien particulier.