Portrait : Aaron Jakob Jacques Balsam (1910-1985)
Hommage à mon père Aaron Jakob Jacques Balsam
Par son fils Shlomo Balsam
Jacques Balsam est né en 1910 en Pologne, en Galicie, dans le ‘shtetl’ de Gorlice pas loin de Cracovie. Après les troubles antisémites en Pologne après la première guerre mondiale il vient vivre à Paris en 1929 où sa sœur ainée Haya Zema habite déjà depuis cinq ans.
Haya Zema est la seconde femme de Jakob Einhorn et élève cinq enfants qu’il a eu de sa première femme, décédée, et deux enfants à elle. Jacques Balsam va habiter chez eux et travailler avec Jakob Einhorn en fabriquant des objets en cuir : ballons, vestes, gants…
Jakob Einhorn est très actif. Juif religieux il fonde en 1929 avec le Rabbin Israel Frankforter une synagogue au 24 de la rue du Bourg-Tibourg, dans le 4ème arrondissement de Paris.
Mais Jakob Einhorn est également un des fondateurs, avec le même rabbin Frankforter de la Société des Galiciens. Une brochure de 1959 rédigée pour le trentième anniversaire de la Société précise :
” L’année 1929 marque le début de l’immigration massive des Juifs Galiciens vers la France. La crise économique de ce temps avait encore renforcé l’antisémitisme en Pologne. La France, pays de tolérance, attirait les Juifs comme un souffle de liberté. Les nouveaux immigrés rencontraient pourtant des difficultés de tous ordres (surtout d’ordre économique), facilement compréhensibles pour ces personnes déplacées. C’est ainsi que, dans le petit restaurant dirigé par Mr Kopf, 29 rue du Roi de Sicile, un petit groupe s’efforçait d’organiser une association qui les rassemblerait et les aiderait. Le comité d’initiative était composé des personnes suivantes : MM. Jakob Einhorn, Isaac Velger, Grossman, Turk, Aaron Kopf, Yossef Kopf, Simon Rotfeld, Avraham Scheitzer. En aout 1929, le comité d’initiative fît paraitre un appel destiné aux immigrés de Galicie, afin de créer une Société de Secours Mutuel. Cet appel parut dans le “Pariser Heint”, quotidien juif d’avant-guerre. Grâce à cet appel la Société put bientôt tenir une réunion constitutive au café “Canon”. L’organisation commença son activité et lors d’une assemblée générale où sont présents des nouveaux venus le premier Comité officiel est élu. Jacob Einhorn est élu vice -président et devient président en 1931 et le restera jusqu’en 1942, année de sa déportation à Auschwitz.
Voici les statuts de la Société :
- Assurer aux membres actifs des secours médicaux
- Venir en aide aux membres ne pouvant travailler
- Venir en aide aux veuves et aux orphelins mineurs laissés par des membres actifs
- Pourvoir aux funérailles de ses membres
En dehors de ces buts très pragmatiques, la Société s’occupait également d’organiser des soirées culturelles, où des artistes chantaient en yiddish…
Jakob Einhorn est assassiné à Auschwitz en aout 1942.
Jacques Balsam pendant la guerre aura un long parcours de souffrances. Il épouse en 1939 Dora Licht, arrivée en France de Lublin en Pologne.
Le couple s’enfuit en zone “libre”. Ils seront arrêtés. Dora sera enfermée au camp de Nexon et Jacques au camp d’Egletons.
Il réussit à s’enfuir de ce camp et essaie de faire sortir Dora de Nexon en préparant des fausses cartes d’identité. Malheureusement il ne réussit pas : Dora est déportée et meurt à Auschwitz. Jacques Balsam s’enfuit à Lyon, puis à Nice où grâce à de faux papiers fournis par la Résistance il parvient à survivre et à rejoindre les FFI gaullistes. Il survivra mais sa mère et deux sœurs restées en Pologne seront assassinées à Belzec, une sœur Sarah et sa famille et un frère Leiser seront déportés de France vers Auschwitz.
Après la guerre mon père épousera en secondes noces Myriam Einhorn, une des filles du premier mariage de Jakob Einhorn, son beau-frère. Myriam, ma mère, membre avant la guerre de mouvements de jeunesse sionistes, monte en Palestine britannique en 1936, sera parmi les fondateurs du kibboutz Glil Yam, près de Herzliya. En 1942, Myriam s’engagera dans la Brigade Juive de l’armée britannique contre l’armée de Rommel en Afrique du Nord.
Jacques Balsam a écrit une lettre à Myriam après la guerre pour lui demander de fonder une deuxième famille. Elle accepta, vint en France et… je suis né en 1948.
Nous habitions au 51 rue de Paradis et Jacques ouvrit un magasin de gants rue Michel le Comte que beaucoup ont bien connu.
Mais un des centres de notre monde était la Société des Galiciens. Chaque dimanche matin, le Comité reconstitué se réunissait chez nous, rue de Paradis. Jacques devint le nouveau président. Chaque semaine, je les voyais préparer la prochaine réunion culturelle, la prochaine commémoration au cimetière de Bagneux. Je me souviens du jour où le monument aux morts y fut profané par des néo-nazis avec des graffitis de croix-gammées…
Je me souviens de mon père, préparant longuement ses discours, en yiddish bien sûr. Car chez les Galiciens, on adorait le yiddish et moi j’adorais les soirées organisées par la Société. Dans les salles du restaurant Eden, Boulevard Bonne Nouvelle, on portait des toasts en yiddish, on chantait en yiddish, les artistes du théâtre yiddish déclamaient des poèmes et des tirades en yiddish. J’aimais écouter, souvent sans comprendre tout, les sketches de Djigan et Shumacher au théâtre du Bataclan. Et puis je retrouvais les enfants des membres de la Société. Pendant les soirées de “gala”, on faisait les fous, courant entre les tables.
Personne ne nous criait dessus, bien au contraire. Ces adultes qui avaient été privés de leurs jeunesse étaient fiers et heureux de cette nouvelle génération.
Jacques Balsam est décédé en 1985. Que sa mémoire soit bénie.
Merci Shlomo pour cet article de mémoire sur la vie de vos chers parents, et sur la vie de la Société des Galiciens. Mes parents, nés en Galicie-de-l’Est (alors polonaise) ont été des membres actifs de la Société des Galiciens. Mon très regretté père en a même été le trésorier plusieurs années. Mes parents, leurs voisins, leurs amis, reposent au cimetière de Bagneux, derrière le monument de la Société des Galiciens, où sont gravés des noms de déportés.
Née en 1941, j’ai connu vos parents et vous-même. Il semblerait même d’après le sauf-conduit de votre père du 28/11/ 1944 qu’il ait été domicilié chez mes parents au 47 rue des Petites Ecuries ! Je me souviens notamment de votre juvénile passion pour le Yddish.
Que la mémoire de tous, rescapés et victimes de la Shoah, soit bénie.
Merci Monique
Oui nos parents ont habités au 47 rue des Petites Écuries et j’etais À Jacques Decour avec Jacquy Szeftel