Portrait : Henriette Bercovitch née Hersco (1923-2020)
Par Irène Bercovitch, sa fille
Ma Yiddishe mamé
Comment ne pas exprimer ma gratitude, à ma Yiddish Mame, quand la lumière paraît ! Ne pas prononcer son nom : Henriette Bercovitch, oublier son amour maternel, oublier que grâce à elle, j’ai fait la connaissance du Président des AIF, Alain Kaminski, ce serait la faire mourir trois fois ! Il faut vous dire qu’avant mes chers parents, des membres de ma famille dont les Jankélévitch adhéraient aux AIF ! Et de fil en aiguille, je suis entrée dans le cercle fraternel et amical, voire familial des AIF. MERCI Maman, MERCI à mon grand-oncle René Jankélévitch !
Alors voilà, tout a commencé le 28 novembre 1923 quand la petite Henriette Herscu (prononcé Hersco) voit le jour, à Paris 4e. Elle est la fille unique de Itic Herscu, surnommé Isaac, et d’Elche Haimovici. L’antisémitisme en Roumanie les pousse à quitter Roman, leur ville natale, sise en Moldavie Occidentale. Ils avaient programmé leur voyage de noce en France, pour s’installer définitivement à Paris en 1920.
Rue St André des Arts, Yeyette est bercée des sonorités de mélodies juives que sa maman lui fredonne : Aye le lule, Schlof mayn Kind, Dona dona, ça vous dit quelque chose ? Puis, ses parents voient la nécessité d’habiter un appartement plus grand, rue de Buci (Paris 6e). Là, jouxtant un beau salon d’essayage, au miroir triptyque, ils développent leur atelier de couture, où « le cœur plein d’amour, papa pique et maman coud » comme le chante Charles Trenet à la TSF, paroles connues de moi par la voix de maman.
C’est dans l’atelier, à l’ambiance chaleureuse et cosmopolite que Yeyette fait ses devoirs, sérieuse écolière élevée dans les écoles de la république. Elle est attentive aux voix d’émigrées roumaines, russes ou grecques yiddishophones et/ou francophones aux accents particuliers. Pour ma part, je souris encore au souvenir de les entendre raconter qui allait “à la choule” et affirmer avec fierté qui était juif, tandis que la bouilloire ronronnait sur la salamandre, pour remplir les verres de thé des amies et clientes.
A l’école complémentaire, maman passe ses diplômes avec succès pour devenir comptable. Parallèlement à sa scolarité, elle reçoit une éducation artistique et culturelle : cours de danse et de piano, visite traditionnelle du dimanche matin au musée, avec son père, soucieux de s’intégrer en France et de transmettre à sa fille ce qu’il veut : parler correctement la langue, appliquer la devise française, connaître les valeurs et lois de la République.
La tradition juive se transmet par la cuisine de sa maman. Le gefilte fish, les latkes, les kreplach, le bouillon de poule et les kneidlach, les boulettes, courgettes ou chou farcis accompagnés de mamaliga, le foie haché… Tous ces mets rythment le temps des fêtes et les saisons.
Les vacances scolaires dans le Vendômois transforment la citadine : Yeyette aime participer à la moisson et aux vendanges. La famille Martelière l’accueille et l’accueillera en temps de guerre, avec ses parents tandis qu’à Montoire, tout près de Thoré la Rochette, Pétain assure à Hitler la collaboration française, le 24/10/1940 ! Le tonton, maréchal ferrant, sa femme tata Nini la considèrent comme leur petite nièce. Toute sa vie, maman nouera des liens familiaux avec eux, puis avec leur petit-fils qui était pour elle un petit frère. Elle restera fidèle en amitié avec les filles, ses amies du village.
Hélas, les lois antijuives rattrapent la famille Hersco. Un concours de circonstance fait qu’elle échappera à la rafle du Vel d’hiv alors qu’elle se trouvait pour une courte période à Paris à ce moment-là, sa carte de rationnement égarée conduira maman au commissariat de police du 6e arrondissement. Là-bas, elle est prévenue par le fonctionnaire bienveillant des arrestations à venir. Maman attendra en vain le retour d’autres membres de la famille, à l’hôtel Lutetia…
La vie reprend son court tant bien que mal et sourit à maman, au printemps 1946. Henriette, alors comptable rencontrera Wolf, par l’intermédiaire d’amis de ses parents. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Eh oui, nous sommes nées de cet amour-là, ma sœur et moi. Notre futur papa est alors tapissier, comme son père Isaac Bercovitch, d’origine roumaine et né à Zikhron Ya’akov, sous domination ottomane, à l’époque (ses parents étaient pionniers en 1881 et fondateur de son village natal). Sa maman a émigré de Doubianki (Ukraine), avec ses parents, à cause des pogroms. Yéyette et Loulou convolent en justes noces le 12 décembre 1946, pour le meilleur et pour le pire. Le 15, leur amour est scellé en la synagogue rue Notre-Dame de Nazareth.
Ils coulent des jours heureux jusqu’à la naissance de leur première fille qui tournera mal, le 13 mars 1948. Mais malgré la perte de leur bébé, les dix-sept mois de chaise roulante de maman qui réussit à remarcher, en boitant, à la façon des initiés, leur amour, leur persévérance, leur courage, et leur désir de vie sont plus forts que la mort. Annick, ma grande sœur voit le jour le 11 juillet 1951 et moi, le 12 décembre 1952, à la grande joie de nos parents. Maman est femme au foyer et papa poursuit son métier de tapissier. Il travaille à domicile pour que sa femme et “ses petites reines” partent en vacances tout l’été.
Expropriés en 1959 de l’appartement de l’avenue d’Italie, nous nous installons à Bagneux. Maman se met à travailler à la mairie de cette municipalité. Elle passe concours sur concours, les réussit et prend la responsabilité du service comptabilité-fournisseur. Elle est très appréciée de ses collègues, de ceux de la perception et des fournisseurs. Les vacances sont un temps de retrouvailles formidable. Quand maman découvre la montagne, je me souviens de son admiration le regard tourné vers les cimes, je la vois se mettre à aimer la couleur verte et chanter, avec Jean Ferrat, entendu sur les ondes : « mon dieu, que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer, en voyant un vol d’hirondelles que l’automne vient d’arriver ! ».
Après des années de bons et loyaux services, maman prend une retraite bien méritée. Temps pendant lequel, elle choie et gâte ses petits-enfants, Olivier, Jérôme, Brice et Adeline. Temps pendant lequel, elle fréquente les clubs de loisir, devient championne de scrabble tandis que son mari joue aux cartes.
La mort de papa les sépare, en juillet 2001, après 55 ans de mariage. Maman apprend à vivre seule, entourée des siens qui veillent sur elle et de ses amis. Elle reprend l’activité scrabble et choisit ses lieux de vacances, mais elle vieillit. La maladie et finalement la perte d’autonomie prennent le dessus. Maman entre en résidence de retraite. Le personnel apprécie sa gentillesse, son esprit de solidarité vis-à-vis des résidents et son sens de l’humour. J’ai eu la chance de pouvoir l’accompagner de toute mon affection, là-bas. J’ai eu la chance de pouvoir lui donner la main le plus longtemps possible, jusqu’à son dernier souffle. Le 23 mai 2020, maman est passée à l’Orient Eternel, elle a rejoint son Loulou et repose à ses côtés, au cimetière parisien de Bagneux, ses parents adorés sont à proximité. Je pense chaque jour à elle, avec l’impression qu’elle veille sur moi.