Le billet : 2022, annus horribilis pour mes petits papiers
Par Alain Kaminski
Il me fallait vraiment changer ce permis de conduire, obtenu il y a cinquante ans, ce carton rose en trois volets non détachables mais que les années avaient malheureusement fini par séparer. Et puis cette photo d’identité où ma chevelure me tombait sur les épaules alors qu’aujourd’hui ce sont plutôt mes épaules qui tombent et mes cheveux, eux, ne sont plus qu’un lointain souvenir. Demeurant dans l’Ouest parisien, je me rendis à la Préfecture de Nanterre où, après m’être momentanément délesté de mes clefs, de ma menue monnaie, de ma montre à la faveur d’un portique digne d’un des aéroports les plus sécurisés du monde, je m’installai tranquillement dans une file d’attente interminable vers un bureau d’information censé me diriger. Puis mon tour arriva lorsqu’une hôtesse d’accueil arborant un badge sur lequel je lisais – en formation – me lança : « C’est pour une carte de séjour ou une demande de droit d’asile ? » Je lui répondis que je voulais refaire mon permis de conduire mais elle poursuivait « Mais de quelle nationalité il est, ce permis ? » « français », lui dis-je, « je suis français », insistai-je. « Alors si vous êtes français, pourquoi vous ne le dîtes pas tout de suite ? Bon, vous êtes annulé à zéro point, suspendu pour plus de six mois ou plus d’un an, c’est pas pareil au niveau du délai pour repasser son permis ». Je commençais à m’énerver en lui précisant que j’avais mes 12 points et que je ne souhaitais qu’obtenir ledit document format carte de crédit comme il s’établit désormais. Elle m’indiqua alors le 1er étage, service des permis de conduire et des cartes grises tout en me recommandant de préciser à mon arrivée que j’étais bien altoséquanais. « Quoi ? » lui lançai-je. « Et bien vous devez être altoséquanais c’est-à-dire être résident du département des Hauts-de-Seine ! » me précisa-t-elle sur un ton acrimonieux. Muni par habitude en pareil cas de toutes les pièces justificatives nécessaires, je finis par recevoir par courrier mon nouveau permis, un miracle.
Les mois passèrent et vint le temps de refaire ma carte nationale d’identité et surtout mon passeport dont la date limite de validité se voyait poindre. Et là, ce qui devait arriver est arrivé.
« Mais vous êtes né de père français par naturalisation, je vois né à Varsovie en Pologne. Dans ce cas, ça peut ralentir en Préfecture, il vous faudrait joindre l’ampliation du décret de naturalisation de votre père pour ne pas qu’on ait à vous la demander pour… la complétude du dossier ». Inutile d’invoquer que mon défunt père fut naturalisé bien avant ma naissance puisque ce document je l’avais en ma possession. Mon regretté papa m’avait toujours dit d’en garder une copie avec moi quand je devais refaire mes papiers, et ce malgré toutes les difficultés qu’il eut pour prononcer le mot ampliation, il s’y était repris à cinq ou six fois, ompulation, ompulition, omplulution, je n’oublierai jamais ce moment délicieux. Il s’était même demandé comment je connaissais ce mot qui sans doute n’existe pas en yiddish, je lui avais répondu que cela venait du latin ampliare qui signifie étendre, sept ans de latin ça laisse quand même des traces. Finalement tout est rentré dans l’ordre mais quelle ne fut pas ma surprise quand je reçus un mois plus tard un SMS de la Préfecture me proposant de me rendre à la mairie de ma commune de résidence pour savoir si un rendez-vous était nécessaire pour récupérer les documents demandés qui eux étaient déjà arrivés en mairie. De plus, ce même SMS me précisait que pour ce faire il me fallait directement me rendre sur… le lieu de recueil. Incroyable.
Mais me voilà en 2023 et j’ai tous mes papiers. Je suis parfaitement en règle, j’ai mon permis de conduire dernier cri, tous mes points, ma nouvelle carte nationale d’identité format carte bancaire, mon passeport biométrique, et même que je suis sûr d’être bien français.
2023, annus mirabilis ?
Je vous souhaite à tous une excellente année.
Avant, la galère, c’était quand on n’était pas français (ou “femme apatride”, comme c’était écrit sur les papiers de ma mère).
Maintenant, c’est le contraire : quand on est français et qu’on vient dans un bâtiment public, ça les désarçonne !!
Sans doute je suis tombé sur une personne…en formation j’ai précisé, mais cette situation ne se présente peut-être pas dans toutes les préfectures, ne généralisons pas.
Cher Alain, ta mésaventure pour changer de carte d’identité me rappelle la mienne vécue en 1994 (années Pasqua) à la Préfecture de Paris.
Ayant perdu ma carte d’identité, je me rends à la Mairie du 17ème arrondissement muni de mes papiers pour la refaire. L’employé m’explique que je dois me rendre à la Préfecture puisque je ne suis plus en possession de l’ancienne carte et que l’antenne de police n’est pas habilitée dans ce cas à procéder aux formalités de renouvellement.
En entrant à la Préfecture je passe le même type de sas de sécurité impressionnant que le tien, puis je prends ma place dans la queue et j’arrive enfin dans une salle où je dois attendre patiemment mon tour.
L’employée de la Préfecture lit mon nom derrière son guichet, me jette un coup d’œil et conclut : « Vous n’êtes pas française.
Je reste interloquée.
« – Moi, pas française ? J’avais une carte d’identité française et je suis née en France !
– Votre nom D-R-Z-A-Z-G-A , père né en Pologne !
– Mais mon père était français ! Il a été naturalisé après guerre et… ma mère est française, Elle a une carte d’identité française !
Je me défends comme je peux mais l’employée n’est pas convaincue.
– L’ampliation de naturalisation de votre père, s’il vous plaît.
– Je ne l’ai pas.
– L’année de naturalisation de votre père ?
– Après guerre, 1946… 1947 ? Ce n’est pas sûr.
L’employée soupire, se tourne vers la rangée de livres derrière elle : en ouvre deux, cherche puis me les place devant moi avec un geste d’impatience.
– Cherchez ! m’intime-t-elle, je n’ai pas trouvé.
Devant moi des listes de noms de personnes naturalisées mais pas le nom de mon père.
Mon cœur se met à battre.
– Laissez-moi votre dossier, on vous écrira. »
Je vais voir ma mère et lui raconte ma mésaventure. Papa n’est plus de ce monde. Nous n’arrivons pas à mettre la main sur le fameux papier.
– Maman, je n’ai pas la preuve que je suis française !
– Ma fille, où veux-tu qu’ « ils » te renvoient ? En Pologne ?
Je suis tout de même inquiète.
Une dizaine de jours plus tard, je reçois une convocation de Préfecture.
La même employée me réclame maintenant mon livret de famille. découpe une petite bandelette avec un numéro, l’agrafe au livret de famille puis se tourne vers moi en me le rendant :
— Ceci est le numéro de naturalisation de votre père. Ne le perdez pas », ajoute-t-elle.
— Et voici votre nouvelle carte d’identité française.
Sur le livre, il fallait chercher à DZAZGA, le R du nom avait sauté ! Maintenant je peux prouver que je suis française !
Hé oui, Alain, c’est la saison des vœux et souhaits, et pour certains ,certaines, mise en ordre des papiers, des grands des petits. Les formats des pièces administratives deviennent plus petits, ainsi vont l’électronique et les coupes de cheveux qui se transforment…
Il me reste l’imagination d’un Alain aux cheveux longs :-)) et l’humour toujours.