Billet : Un vocabulaire de circonstance

Par Alain Kaminski

Il n’y a pas si longtemps, mon vocabulaire dans la langue hébraïque me permettait de converser à ma guise avec tous mes amis, mes proches en Israël. Certes, je m’exprimais avec un accent français à couper au couteau, ce fameux accent « puissant » comme le rappellent souvent les linguistes, mais je ne cherchais pas mes mots, quelques fautes d’accord devaient certainement s’immiscer dans ma phraséologie, mais je parlais un hébreu qui m’autorisait à interpeller l’israélien moyen, à me rendre dans n’importe quel commerce, je me débrouillais bien en quelque sorte.
Depuis le 7 octobre 2023 et surtout très récemment, je découvre des mots que je n’avais jamais utilisé, il me fallut les apprendre avec une affliction qui rendait cet apprentissage difficile, parfois le vocabulaire finit par contrister. Avec un ami, je m’étais rendu sur cette esplanade devant le musée de Tel-Aviv, un lieu qui ne portait pas de nom particulier et que l’on appelle désormais la place des otages, Kikar Ha H’atoufim, ce mot h’atouf qui signifie otage. Voilà un mot que je n’aurais jamais utilisé auparavant. J’ai découvert le mot sh’ita, le chantage de l’infinitif lish’ot, faire du chantage, un mot que désormais je ne peux qu’abhorrer. J’ai découvert le mot assir, un prisonnier, et au cours d’un récent entretien avec une brillante journaliste du quotidien Haaretz, je me fis préciser que le mot assir se déclinait au pluriel sous la forme de assirim bith’oniim, des prisonniers liés à la sécurité d’Israël, du singulier bien connu bitah’on, la sécurité. Aussi ce mot h’ilouf, au pluriel h’iloufim, les échanges, de l’infinitif léach’lif, échanger. Ce nouveau vocabulaire au visage rembruni devient pour moi cet hébreu nouveau, celui que l’actualité m’impose, ces mots qui s’écrivent en Israël non plus avec de l’encre mais quelquefois avec des larmes. Je ne connaissais pas non plus le mot libération, shih’rour que j’ai entendu pour nos otages comme pour les criminels libérés en échange. Le vocabulaire des Israéliens s’est assombri, il semble parfois se défigurer au fil de l’actualité, on ne sait plus très bien où et quand certains mots ont toute leur place dans les conversations et moi je me sens toujours gêné, dans mon fauteuil à quatre mille kilomètres, d’avoir à les utiliser pour évoquer une situation que je ne vis pas comme la vivent tous les Israéliens. Mais au-delà des mots, il reste à souhaiter que tous les otages puissent bientôt rentrer à la maison et retrouver une vie normale, autant que faire se pourra après un tel traumatisme, qu’ils seront aussi alertes et ingambes que la mise en scène d’une récente libération a tenté de montrer. Nos cœurs sont avec tous les Israéliens qui rêvent ou qui prient pour vivre en paix, pour que la lumière qui immanquablement finit par chasser les ténèbres nous illumine tous.