Billet : Un invité sulfureux

Par Alain Kaminski

Il a osé et la France a osé.
Tel un conquistador à la dérive dépassé par sa volonté de renaître, notre président a osé en recevant un certain Ahmad Al-Charah, anciennement Abou Mohammad Al-Joulani, anciennement sinistre personnage criminel de guerre à la tête d’une armée de tortionnaires, de violeurs, d’assassins toujours en service. L’invité de la France, pénétrant à l’Elysée sous une haie d’honneur de gardes républicains, après une chaleureuse et longue poignée de main, vient tout juste de fermer les yeux sur le massacre de près de 2000 personnes, alaouites et druzes, dans cette Syrie dont il ne peut contenir les milices armées et dont il est un ancien allié. Le président Macron semble chercher à n’être digne que de la part idéale de lui-même, la quête d’un avenir romanesque. Voulant jouer un rôle majeur dans la diplomatie internationale, flanqué d’un quai d’Orsay que l’islamisme n’effraie pas, notre président semble pétrifié dans son importance qui ressemble à un pacte avec l’imposture. Il n’a toujours pas compris qu’un jour on peut être aimé et qu’un autre on peut ne plus l’être. Il n’a pas compris que la politique est vaine dès lors qu’elle prétend libérer l’individu en ménageant les ressorts de sa vraie nature. En recevant, venu de Damas, un boucher succédant à un autre boucher, il nous confirme qu’il n’a décidément pas les épaules d’un homme d’Etat. En politique, il est habituel de quitter ses talons pour monter sur ses ergots mais faut-il le faire en recevant n’importe qui et c’est à se demander si le Gal de Gaulle aurait reçu au lendemain de la guerre et sous les ors de la République des criminels nazis responsables de la mort et de la déportation de milliers de juifs, de milliers de résistants, de milliers de hommes, de femmes et d’enfants persécutés. Le président Macron pourra-t-il avec son interlocuteur ressusciter les morts par la conversation ? En demandant à l’ONU une dérogation pour recevoir ce personnage qui faisait l’objet d’une interdiction de voyager, la France a perdu son âme.
Dans la classe politique, les réactions furent nombreuses, LFI dont on ne sait plus si cela signifie la France Insoumise ou la France Islamiste se réjouit bien entendu de cette visite avec la bénédiction de ses partenaires. L’extrême-droite s’en inquiète opportunément.
Quant au clan macroniste, ministres ou parlementaires, une pleutre attitude consiste à ne piper mot, on ne va pas se fâcher, les échéances électorales, nationales ou locales, se voient poindre.
La France, déjà humiliée par l’Algérie, n’avait plus de rôle principal dans sa politique arabe. Elle vient de perdre l’espoir d’un second rôle en recevant un homme qui a du sang sur les mains sans attendre que cette hémoglobine sèche un peu, sans attendre que la Syrie retrouve son calme pour rassembler ce qui est épars, elle ne pourra que désormais se satisfaire d’un rôle de figurant et encore.
Notre président devrait se souvenir de cette pensée de Cicéron dans ses lettres à son ami Atticus, ” nihil inimicius quam sibi ipse “, notre pire ennemi, c’est nous-mêmes.