Deux souvenirs délicieux à propos de Jacques Chirac
Au-delà de toute considération politique, force est d’admettre qu’il fut parfois haut en couleurs, qu’il fut un personnage, et personnellement je dirai qu’il était délicieux. J‘ai eu le bonheur de partager à deux reprises un moment magique en sa compagnie. Dans le mitan des années 90, Jacques Chirac, en campagne électorale à Paris, décidait d’aller à la rencontre des présidents de grandes associations juives de chaque arrondissement et de les inviter à déjeuner dans un restaurant de proximité. La Fédération des Sociétés Juives de France était installée à l’époque dans le XIème arrondissement de Paris, son président en déplacement délégua son secrétaire général et ainsi j’étais convié à partager la table du maire de Paris dans un petit restaurant de la rue de la Fontaine au Roi. Il était accompagné de son collaborateur Michel Roussin, du maire du XIème arrondissement Alain Devaquet, et tous les quatre nous refîmes le monde parisien en général et celui du quartier en particulier. Le menu me fut imposé, terrine de je ne sais plus quoi, tête de veau sauce gribiche, fromage, vacherin et une bière pression qui fut suivie d’une deuxième. Jacques Chirac trancha lui-même la terrine pour moi, me servit et je restai impressionné par sa gentillesse, sa simplicité et surtout subjugué par son coup de fourchette. A la fin du repas, il se leva d’un seul coup, ferma sa veste pendant que moi je me levai plus difficilement sans pouvoir fermer la mienne, j’étais plein comme un œuf et bien content d’être raccompagné dans sa voiture jusqu’à la rue de la Folie-Méricourt.
Le deuxième moment fut absolument exceptionnel. Jacques Chirac était invité à l’école Sinaï dans le XVIIIème arrondissement pour assister à un petit spectacle donné par les enfants à l’occasion d’une fête. Mon ami Jean-Pierre Pierre-Bloch, alors député de la circonscription, me convia pour cette petite fête et ne tarda pas à me demander un grand service en me disant : « Alain, je vais m’asseoir derrière Chirac et toi tu vas prendre ma place au premier rang à côté de lui, ne t’inquiètes pas je vais te présenter comme un ami de très longue date ».Je me demandais bien ce que me valait cet honneur et pourquoi cette mise en scène. Jean-Pierre m’expliqua discrètement qu’il était aussi adjoint au maire de Paris et que, ne se sentant pas en mesure de répondre à certaines questions pointues sur l’origine des fêtes juives, il ne voulait pas voir son image de marque écornée en passant pour un ignare vis-à-vis de Jacques Chirac. J’ai accepté cette mission mais j’avais hâte que cela se termine de peur d’être moi-même questionné. Tout se passait pour le mieux quand soudain je vis à la fin du spectacle Jacques Chirac se pencher vers moi et me glisser à l’oreille cette petite phrase qui m’avait alors terrifié : «Monsieur Kaminski, puis-je vous poser une question ? » Bien entendu monsieur le maire, lui répondis-je complétement angoissé. « J’ai besoin de savoir, Monsieur Kaminski, quelle est la différence entre un rav, un rabbi et un rabbin ? » Désarçonné par mon jeune âge, je compris vite qu’il me fallût trouver une pirouette pour m’en sortir si bien que je lui répondis : « Monsieur le Maire, ils sont magnifiques, ils nous sont indispensables et de plus ils sont juifs tous les trois ! ». Je l’ai vu à ce moment-là sourire puis entendu rire, il semblait ravi de cette réponse et me lança : « Excellent, Kaminski, excellent ! » Un moment mémorable en compagnie d’un homme qui allait devenir quelques temps plus tard Président de la République.
Alain Kaminski
Rueil-Malmaison