Lac Titi Khar’ka « Roc du Puma » ou Titicaca
(qui fait rire les petits à l’âge anal)
Par Claude Cordier-Roszewitch
dimanche 10 février 2008
Le Lac Titicaca Nous partons de Puno, siège de la culture pré inca Tiawanaco. Nous sommes quatre à bord du bateau : le pilote, le guide Inca causant pseudo anglais, mon parèdre et moi, 35 km à parcourir à 10kmH. Nous n’avons emporté que le strict minimum pour passer une nuit sur l’île, comme conseillé par l’agence : une torche électrique, 4 bougies, 1 boîte d’allumettes, des vêtements chauds et des bouteilles d’eau. Une valise à roulette contenant cameras, appareil numérique, batteries rechargées à fond, ces ustensiles bons compagnons de nos pertes de mémoire. J’ai le temps de lire le guide : Une légende locale prétend que les premiers habitants avaient 6 doigts et s’appelaient les Uros, comme les îles du même nom.
Nous voguons à 3800 m au dessus de la mer, le vent est froid, je respire au minimum. Il me fut difficile de m’accoutumer à l’altitude du Pérou, dès 2800m je me réveillai en sursaut parce qu’un monstre avait posé son gros corps lourd sur mes poumons. J’ouvris la fenêtre, rien n’y fit, le monstre était là, ma respiration haletante, je songea étouffer. Je mouchai du sang, l’air trop sec, épuisée je m’écroulai. Lors d’un voyage de nuit en car sans chauffage je passai un col à 4800 m et ne dormant pas, je vis l’échange de chauffeur et l’esprit vide grattai le givre de la vitre en me disant : Maman, malgré ma tuberculose et ma pneumonie, je survis au manque d’oxygène, c’est comme lorsque papa m’entrainait à la plongée en apnée et que les secondes étaient comptées avant que mon visage ne tourne au bleu. Je constate que mon compagnon s’est endormi sous le ronron du moteur, le guide aussi. Je fixe le chauffeur, son dos indique une tendance à chanceler, dormirait-il aussi ? Je suis la seule éveillée, donc seule maître à bord impuissante, nous allons nous fracasser contre un rocher, je hurle « Stop », il se réveille et vire à gauche et nous sommes sauvés.
Port de l’Ile Taquile
Notre guide nous informe que le village, sans grandes ressources mais très accueillant, est situé au-delà des 533 marches d’un fabuleux escalier qui mène à la place centrale.
Je pars la première, sac lourd sur le dos, je monte, je me souviens d’un escalier en Cappadoce valant 350 marches, celui là est pire car l’air raréfié me brûle les poumons. Je me dis, juste pour me faire sourire, qu’on aurait pu nous prévenir que l’île ne disposait pas de funiculaire. Dès que je m’arrête pour prendre une photo formidable du site, des gamins m’agressent pour quelques sous, je les rejette vertement. Je me reprends : c’est moi qui me suis payée une échappée belle mais ardue en ce lieu manquant de tout et je chipote à leur donner un centime de mes revenus, car on m’a inculquée de ne pas encourager la mendicité. Il est vrai qu’au Pérou cette île est le seul endroit où je pus rencontrer des enfants mendiants. Le péruvien est un être fier de ses origines qui assume sa pauvreté, il enseigne à ses enfants de ne jamais mendier.
J’ai croisé en ce lieu une très vieille femme pieds nus ployant sous une lourde charge sans rien demander.
Lorsque j’arrive au haut, je constate que la valise contenant caméras, films, batteries et autres ustensiles indispensables aux souvenirs fut portée sur le dos d’un local payé et permit à mon parèdre de se propulser en cette place sans trop de fatigue.
La place est superbe des enfants jouent au ballon, des femmes filent la laine ou tricotent.
Epuisée, je ne songe qu’à m’asseoir et à regarder, un poteau indique que je me trouve à 17 506 Km de Lhassa, je fais une petite prière aux tibétains, si loin de tout et si proches de moi.
Le guide nous montre une rue en escalier qui doit nous mener vers la chambre où nous nous reposerons, sans eau, sans chauffage, mais avec une ampoule électrique. Nous y trainons nos bagages et faisons le compte de ce qui nous aidera :.chaussettes, écharpes et pulls en alpaga .Grand merci à ce joli quadrupède qui fit tout ce qu’il pu pour apporter en sa laine sa certitude chaleur. Au matin, je me déleste de mes urines de la nuit en un trou et cherche à me laver, une sorte de baquet d’eau de pluie est à ma disposition. Je m’y rince les mains mais pas plus, j’ai apporté des lingettes antiseptiques.
Le petit déjeuner doit être pris dans le seul restau du village, place centrale comme tous les repas inclus dans le forfait, ce qui implique que nous devrons monter et descendre pour nous sustenter.
Il est gentil ce guide Inca très costaud, il ne cause pas beaucoup sauf en quechuaglish, il ne souffre pas de l’altitude, il fait tout ce qu’il peut pour nous montrer une belle vue sur le lac, nous z‘y allons joyeux.
Nous crapahutons au haut : OH la vue est belle !
Lors, il nous propose de descendre vers une plage de sable fin. Tout à coup mon cerveau opère un virage à 60° et je hurle « Pas question que je descendes ces foutues 533 marches juste pour voir du sable blanc et que je les remonte pour manger, j’en ai soupé de la plage de mon enfance, j’en ai bouffé à la louche des coquillettes au sable fin. Pas question que je descende d’un pouce ! » Il comprit à mon ton, qu’il vaudrait mieux me proposer plus tard de monter, un peu, pour admirer le coucher de soleil. C’est vrai ce type, il est né là, il ne souffre pas de l’altitude, il saute comme un cabri, il cause peu, préserve son souffle, il est payé pour monter et descendre mais seulement si le touriste le suit, sinon il s’assied comme tout un chacun, ce n’est pas un surhomme et en outre il ne cesse de s’abreuver de Coca Cola, c’est tout dire.
Le coucher de soleil était bien, sans plus et surtout très pollué par les quelques touristes ambiants accompagnés d’un guide français bavassant pour sa promo.
Il est un fait avéré et terrible plus l’on voyage, plus l’on admire de lever ou de coucher de soleil, moins on les trouve exceptionnels. On compare, on chipote, comme moi en Islande devant le plus grand geyser, « Ah oui, l’est pas mal mais pas aussi haut que le greatsproutch de Yellowstone ! » on agace les néophytes. On se fait des ennemis, on ne vous invite plus, on finit par voyager seuls et c’est bien.
Au retour, le forfait indiquait : déjeuner typique sur île flottante et non pas île flottante en déjeuner typique.
On nous proposa de nous asseoir sur un banc de roseaux, posé sur un quai de roseaux, entouré de maisonnettes en roseaux, des zoziaux noirs nous reluquaient dès fois que nous eussions quelques mauvaises intentions vis-à-vis des cochons d’inde élevés pour leur viande réservée aux cérémonies.
On nous servit gentiment, les enfants furent de la partie, une soupe tiède au poisson inconnu et une sorte de pain, tout en nous expliquant l’usage du roseau (totora en langue Uros). Il était une fois, il y a fort longtemps, une petite tribu dite Uros, qui se réfugia sur le lac pour fuirent les vilains Incas batailleurs et eut l’idée mirifique de poser l’une sur l’autre des couches de roseaux et de les compléter à mesure que les couches inférieures pourrissaient, pour en faire une île flottante, bien pratique lorsque l’ennemi se pointe. Le sol souple était peu stable, ils s’en accommodèrent car ils avaient le pied marin, bien que vivant à 3830 mètres au dessus de la mer.
Il faut savoir que la mer monte et descend, comme notre guide, depuis des millénaires, dépose ses déchets, fabrique des montagnes, engendre des monstres, creuse des canyons, régurgite des mixtures énergétiques et polluantes, tout en se foutant de tout sauf du cycle de la lune. La tradition indique de ne pas poser le pied sur un endroit trop pourri. Les eaux du lac sont froides et vous risquez la pneumonie, l’hôpital est loin et le téléphone sans relai. Toutefois, j’en fis l’expérience, il est très réjouissant de se propulser sur ce genre de support, c’est un peu comme de tenter d’avancer sur un trampoline couvert de neige poudreuse, on enfonce mais on rebondit. Lors, nous entendîmes des musiques locales provenant d’une île voisine, le guide nous y propulsa. Nous n’étions pas seuls, une flotte d’embarcations en forme de canoë toutes confectionnées en (en quoi ?) en roseaux (bien !) affluaient chargées de présents pour les mariés.
Nous suivîmes la procession portant : qui une armoire en stratifié, qui un filet de pêche, qui des casseroles par 4, qui un filet de pêche, qui un réchaud à gaz, qui un filet de pêche, qui une tête de lit, qui le matelas adéquat, qui un filet de pêche usagé…, qui des billets que j’accrochais au joli costume de la belle mariée saumâtre.
J’appris plus tard que tout cela était ridicule et triste car le mari n’avait pas encore construit sa maison de roseaux pour accueillir les présents des familles et des autres et que la sus dite mariée était vénère.
Toutefois, la fête bâtit son plein, la musique, cuivres en majorité, envahissait le lieu. Les enfants quémandaient des bonbons. J’en vis un qui avalait du Coca puis le rejetait dans la bouteille pour mieux en garder le goût.
Je jouais avec eux, toujours étonnée par cette façon spéciale de se propulser comme des lutins sur un sol mobile. Je fis de même comme si la terre pouvait se résumer à quelques mètres carrés instables.
La vie est joyeuse lorsqu’elle est simplement perçue, car rien en ce monde n’est durable.
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