Billet : Deauville, pardonne-moi parce que je t’aime
Par Alain Kaminski
Certes, je ne m’attendais pas autrefois à croiser le duc de Morny entouré d’élégantes dames toutes vêtues de robes de Paris plus belles les unes que les autres, souliers en chevreau et gants de Suède, coiffées de leur thermidor en paille de riz noire, garni de gaze piquée d’hirondelles.
Non, je voulais juste respirer quelques jours les embruns, ces poussières de gouttelettes formées par les vagues qui se brisent, et que le vent emporte.
Je voulais juste ressentir l’atmosphère de cette cité balnéaire que le fils de la reine Hortense fit construire au XIXème siècle et dont l’âme avait inspiré tant de belles plumes et de beaux pinceaux.
C’est vrai, les siècles ont passé mais les fantômes traversent parfois une ville pour rappeler aux visiteurs venus à leur rencontre ce qu’ils firent de leur vivant.
J’étais donc parti il y a fort longtemps à la rencontre de ces fantômes pour gagner Deauville que j’ai pu, demeurant dans l’ouest parisien, gagner à la faveur de deux petites heures de route.
Partir du lieu où repose la reine Hortense à Rueil-Malmaison pour Deauville, ce fut un peu faire le tour d’une famille, quitter une commune qui doit tant aux Beauharnais pour en gagner une autre développée et transformée par un autre Beauharnais, le duc de Morny, fils de la reine Hortense et petit-fils de l’Impératrice Joséphine. Je n’irai pas plus loin dans cette galaxie corso-martiniquaise sachant qu’en épousant Louis Bonaparte, frère de Napoléon 1er, Hortense fille de Joséphine de Beauharnais est devenue la belle-sœur de sa mère puisqu’elle était l’épouse de son beau-frère…suivez-moi, les rueillois eux-mêmes s’y perdent en conjecture eu égard aux grossesses cachées qui faisaient suite aux coups de foudre des salons de l’aristocratie d’alors.
J’arrivais donc à Deauville et peu de temps m’avait fallu pour voir que cette cité sans histoires paraissait sans Histoire aucune et qu’elle n’intéressait guère, à quelques exceptions sans doute, les villégiateurs.
Mais tu as bien changé Deauville.
Mon arrivée sur les fameuses planches ne m’avait guère laissé d’illusions sur les embruns, ceux-ci avaient fait l’objet d’un barrage érigé par la fumée des cigares que les résidents de la plage m’obligeaient d’inhaler. Quant aux jolies femmes qui venaient aux siècles précédents montrer leurs belles ombrelles à failles changeantes et plissées en chevrons, elles furent remplacées par d’autres femmes moins gracieuses dont le timbre dissimulait la mélodie des mouettes qui rient et des goélands qui raillent.
Mais j’avoue que tu as bien changé Deauville.
Sur les planches, on y mangeait des gaufres comme sur le pont d’Avignon on y dansait, sur le sable on y engloutissait des crèmes glacées, dans les rues on y avalait des sandwiches, bref on y mangeait partout en marchant, en pressant le pas, la cité balnéaire s’était transformée en goinfrerie.
Mais je reconnais que tu as bien changé Deauville.
Torses nus aux terrasses des cafés, là où jadis on dissimulait presque sa montre de gousset, les hommes exhibaient leur montre-bracelet de prix avec la crainte de ne pas être vus, le lamentable rivalisait sans gêne avec le ridicule.
Mais, en bien, je le crie et je le clame, tu as miraculeusement changé Deauville.
Pour quelles raisons, des hommes et des femmes n’avaient-ils pas hésité, instinct grégaire aidant, à devenir des pillards d’âme, l’âme de Deauville en particulier.
Mais désormais, ils te respectent Deauville.
Tout cela avait quand même aiguisé mon appétit et quelques produits de la mer m’avaient bien tenté mais je m’apercevais rapidement que l’iode était restée à l’horizon.
Mais tu es devenue bien plus respectueuse, chère Deauville.
Les nuages devenaient menaçants, tous les ingrédients étaient réunis pour me convaincre que finalement Deauville pouvaient montrer une certaine tristesse et, fidèle à mon ouest parisien, il me fallut deux minutes pour me décider, en ajoutant deux heures de route, pour regagner la cité de Joséphine, pour rêver des parfums de la reine Hortense, pour observer les merles chanter pour les merlettes du Parc de la Malmaison.
Mais récemment je suis retourné te voir, Deauville, et la culture s’est installée sur tes planches, tes trottoirs sont devenus promenades, tes embruns ont retrouvé leurs espaces, tes lumières qui annoncent le crépuscule ont scintillé de tous leurs feux, et même si le plus beau des goélands s’est oublié sur le toit de mon carrosse métallique, désormais je t’aime Deauville et je te promets de revenir te voir, très souvent.
Je l’ai lu à voix haute à ton frère qui a déclamé : « c’est le plus romantique des Kaminski » !!!
Bien vu et bien écrit !!! Merci 👏👏👏😀
Cher Alain,
Dans l’élégant texte sur Deauville passé par toutes les phases que tu évoques, j’en ai reconnu une qui m’a bien fait sourire : les années 1950 et au delà, celles du “grand remplacement” (mais ça ne s’appelait pas encore comme cela) par des familles bariolées et excessivement bruyantes au point que les mouettes n’arrivaient même plus à s’entendre.
Béatrice
Merci pour vos textes jolis et émouvants, Monsieur Kaminski.