Billet : Quand la France est malade
Par Alain Kaminski
Pauvre France, malade de ses déserts médicaux, malade de sa paperasserie qui encombre le peu de médecins que nous avons encore pour lutter contre ce qu’on appelle désormais « problème de santé publique ». Pauvre France qui a institué le parcours de soins et qui, pour certains, s’assimile désormais à un parcours du combattant. Par la faute et surtout la totale incompétence de certains politiciens, visionnaires de leur seule carrière personnelle, la société française paie aujourd’hui au prix fort les erreurs du passé. Quand Georges Pompidou et son ministre de la Santé Rober Boulin en 1971 acceptèrent le numerus clausus qui nous prive de médecins aujourd’hui, ils se soucièrent comme d’une guigne des conséquences futures, ils acceptèrent tête baissée les desiderata d’une profession qui voulait limiter à l’époque le nombre de praticiens pour se garantir des revenus confortables. Le résultat est celui que l’on connaît actuellement.
Les déserts médicaux sont médiatisés quand ils se trouvent en milieu rural mais sous d’autres formes, ils existent en milieu urbain. Là où il n’y a pas de médecins, là où ceux qui exercent répondent qu’ils ne prennent plus de nouveaux patients. Et ces derniers débarquent et encombrent les urgences pour une crise d’arthrose, faute de médecin traitant. Le parcours de soins peut se trouver jonché d’embûches rapidement. Pour les spécialistes, c’est souvent encore plus compliqué, les ophtalmologistes affichent complet pour les huit ou dix mois à venir, les psy sont débordés, j’en passe et des meilleures. Certains patients ne sont informés que par un SMS de l’Assurance maladie de la cessation d’activité de leur médecin traitant, parti en retraite sans prévenir sa patientèle et sans successeur. Un scandale pour les malades, un abandon de poste pour certains en affection longue durée, lesquels assimilent cette situation à une non-assistance à personne en danger. On ne s’étonnera plus que le rêve de certains médecins est d’intégrer la Sécurité Sociale, cet organisme chargé de mission publique, que certains rêvent de la médecine du travail, d’être médecin conseil, bref des horaires de bureau, un salaire confortable et des treizièmes ou quatorzièmes mois, et jusqu’à la modique cotisation à l’ordre des médecins, 340 euros par an, prise en charge par la Sécu, c’est magnifique !
Il est temps de revoir tout cela, rien ne va plus. Ce qu’il se prévoit en ce moment laisse poindre une légère amélioration du système de santé à l’horizon 2035 car il faut attendre une nouvelle génération de médecins, les études de médecine sont très longues pour une profession sacerdotale à qui l’on promet une augmentation de 1,50 euro par consultation, une misère, une aumône, une honte. Quel remède pourrait-on trouver pour soigner un mal qui ronge notre société et qu’on appelle l’indifférence ? Peut-être par l’instauration d’un nouveau numerus clausus aussi paradoxal que cela puisse paraître. Celui-ci s’appliquerait à nos parlementaires quitte à titiller la démocratie. Pour la moitié d’entre eux, ils sont issus de la fonction publique avec des emplois protégés et un retour au chaud en cas de fin de mandat, des retraites assurées et des comités d’entreprise dignes de ceux des régimes spéciaux. J’ai bien peur que parfois, à force de candidater à tous les scrutins, à force d’allers et retours entre le public et le privé voir où l’herbe est plus verte, à force de sombrer d’une manière addictive en politique, ils finissent par oublier la plus belle richesse des français, leur santé.
Merci pour ces articles si vrais et si touchants 😊
Et j’ajoute (avec fierté) que j’ai eu 10/20 au yiddish quizz !
Bonjour Alain, je lis toujours la lettre des AIF avec beaucoup d’intérêt. Je comprends ta colère et ton ressentiment face au manque de médecins.
Une précision cependant, ce ne sont pas les médecins qui ont demandé le numerus clausus. Ce sont les politiques : les dépenses de santé commençaient à augmenter sérieusement et un technocrate a pensé que s’il y avait moins de médecins, il y aurait moins de prescriptions, donc moins de dépenses. Et aucun technocrate n’a réfléchi aux conséquences.
Ma chère Laurence
Bien entendu, ce technocrate fut stupide d’autant plus que l’assurance maladie ne rencontrait pas du tout les problèmes financiers d’aujourd’hui mais pour instaurer ce numerus clausus, il voulait un avis favorable de la profession laquelle lui a donné avec maestria. Malheureusement.
C’est ce que retiendra l’ancien membre du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale…que je fus.
comme le dit le feuilleton : la vérité est aussi ailleurs.
Si dans la tête de Claude GOT, le conseiller technique du ministre de la santé à l’époque il fallait créer un numerus clausus, c’était essentiellement pour réduire le déficit de la sécurité sociale. Son raisonnement était simpliste : pour réduire le déficit, il faut réduire les actes médicaux, pour réduire les actes médicaux, il faut réduire le nombre de ceux qui les prescrivent, et donc en limitant le nombre de médecins, on limitera le nombre d’actes médicaux. CQFD. Mais c’était sans compter sur une projection dans l’avenir : le vieillissement de la population, les découvertes médicales qui font chuter le taux de mortalité, les départs à la retraite des médecins, etc.
Et les gouvernements suivants, et les ministres de la santé suivants ( dont Simone Weil) ont réduit encore le numérus clausus. Actuellement les facultés n’ont plus les moyens de former des médecins même si le numerus clausus est abandonné, faute de locaux, d’enseignants, ,…). Alors il faudra vivre avec et voir des médecins formés à l’étranger venir exercer en France, car la pénurie va durer. C’est le problème des décisions politiques que nous payons sur le long terme ( les effets de la décision de 1971 se font sentir 50 ans après) alors que les dits politiciens n’ont qu’une vision limitée à leur durée de vie en tant que politique ( entre 5 et 9 ans).
Mon cher Rochel
L’excellent Claude Got à qui l’on doit le port obligatoire de la ceinture de sécurité en voiture fut un grand connaisseur des séquelles des accidents de la route, il exerçait tout près de chez moi à Garches. Mais par ailleurs, lorsqu’il fut à même de s’impliquer dans ce numerus clausus, il eut le soutien d’une profession parfaitement organisée qui était bien favorable à ce numerus clausus. La profession aurait pu piper mot comme elle le fait souvent de nos jours, elle ne l’a pas fait, Quant aux politiques, je te rejoins, ils vivaient sur une autre planète.
A revoir sur France 2, à ce sujet, l’excellente émission présentée par Michel Cymès et Léa Salamé « Santé en France, l’état d’urgence » suivie d’un débat avec l’actuel ministre de la santé et du corps médical ainsi que le témoignage de patients.
Elle documente et rappelle ce que vous venez tous de dire précédemment.
Rosette Birkan