Portrait : Riwen Himmelfarb (1914-1991)

Par sa fille Renate Huberman

Riwen Himmelfarb, naquit le 14 août 1914 dans une petite bourgade près de Łódź en Pologne. Il était issu d’une famille respectueuse des traditions, fils de Szaja Himelfarb et de Golda Sznitten. Toute sa vie, son patronyme portera tantôt un seul M, tantôt deux M.
Riwen, parfois Riven, apprend dans un premier temps à travailler le bois, il devient bûcheron mais son dix-huitième printemps l’incite à quitter son village pour travailler à Łódź chez un marchand de tissus jusqu’au début de la guerre. Il se mariera mais son épouse disparaîtra très tôt dans la tourmente de la Shoah. En 1939, il est envoyé aux travaux forcés puis déporté en 1944 à Auschwitz puis à Dachau en Allemagne.
Sa famille sera décimée, il ne reverra plus jamais ses parents, ses frères et ses sœurs.
Seul survivant, il observera toute sa vie un mutisme sur cette période et cette tragédie.

Libéré en Allemagne par l’armée américaine, celle-ci installe alors des centaines de personnes dans un camp de « déplacés » près de Francfort sur le Main où ces survivants essaient de revivre et surtout de se renseigner sur leurs familles. Quelques temps plus tard, il fera la connaissance d’une jeune femme, rescapée de Ravensbrück, native de Działoszyn, petite ville polonaise de la région de Łódź, Kazia Szylit, fille de Herszlik Szylit et Rywka Nordon. Il épousera en 1946 Kazia qui retrouvera un frère et deux sœurs lesquels deviendront une nouvelle famille pour Riwen qui aura toute sa vie une affection particulière pour eux. Parmi les autres survivants déplacés, Riwen se fera beaucoup d’amis pour lesquels il restera sans doute en Allemagne. Kazia et Riwen auront deux filles, Golda Riwka devenue Renate née 1947 et Ruth en 1949.

Une nouvelle vie commence pour Riwen et Kazia qui, comme bien d’autres, reviennent d’un enfer qui leur a volé leur jeunesse, leur insouciance, et privé à jamais de leurs proches.
Tout est à reconstruire.
Ensemble, ils s’installent dans une maison à Francfort mais rapidement une opportunité professionnelle se présente, il part à Anvers en Belgique où il apprend le métier du diamant, la taille puis la vente. Il fera donc des allers-retours entre Anvers et Francfort, il emmènera d’ailleurs sa fille aînée visiter la Bourse aux diamants, il aimait ce métier, il aimait l’expliquer avec sa loupe d’expert qu’il ne quittait que rarement.
Entre-temps, sa belle-famille émigre aux Etats-Unis, Riwen déménage et s’installe cette fois-ci dans un appartement. Puis, conjoncture oblige, il quitte l’univers des diamants et se lance dans l’immobilier, locations de bureaux puis construction, le voilà promoteur immobilier.
Les filles de Riwen et Kazia vivaient heureuses dans cette Allemagne où la présence américaine était toujours importante après-guerre.

Les voilà tous partis à New-York sur le Queen Elizabeth

En 1954, Riwen voulait toutefois rejoindre cette belle-famille qui était devenue la sienne et fit une demande d’immigration pour le rêve américain et les voilà tous partis à New-York sur le Queen Elizabeth. Mais après deux séjours de six mois à deux ans d’intervalle, il en conclut que ce rêve n’était pas aussi idyllique qu’il ne se l’imaginait, le spleen s’installa en lui, il était resté européen dans l’âme. Ainsi, il renonce définitivement à ce projet de vie, il veut retourner en Allemagne. Mais voilà ! Riwen ne pouvait imaginer ses deux filles fonder un foyer en Allemagne, les voir épouser de jeunes allemands issus de familles allemandes, l’impensable le taraudait en permanence.

En 1960, il échafaude un nouveau projet de vie, Paris, la France. Il part seul à Paris dans un premier temps, Kazia, Renate et Ruth l’attendent tous les week-end à Francfort.
A Paris, il retrouvera un cousin bien éloigné et ils se lanceront dans le textile, ils créent une fabrique de bas nylon dans la région de Troyes. Un nouveau pays pour lui, une nouvelle langue qu’il se doit d’apprendre rapidement. A 45 ans, il s’inscrit à l’Alliance française dont il sera le doyen des étudiants mais fier de montrer sa carte d’étudiant à la première occasion.
Au bout de deux années faites d’allers-retours, il décide de faire venir sa famille et trouve un appartement à Paris, les nouveaux allers-retours seront ceux entre l’usine de Troyes et un bureau dans le quartier du Sentier. Finalement il aime la France et ne cessera pas de répéter ce que de nombreux juifs polonais disaient alors : « Heureux comme Dieu en France ». Mais entre-temps ses amis très chers en Allemagne étaient partis aux quatre coins du monde, ils lui manquèrent cruellement.

Il part régulièrement en vacances avec sa petite famille, en Italie, en Suisse, en Autriche, dans ces contrées germanophones où il semble cependant et à tout le moins bien à l’aise. Il manquait donc quelque chose à Riwen qui se sentait quelque peu isolé socialement à Paris tout carpe diem qu’il fut tout au long de sa vie. Il s’installait tous les matins dans un petit estaminet où il avait ses habitudes, ses discussions avec les serveurs qui le voyaient arriver avec son journal allemand à la main et même l’attendaient mais le spleen s’était déjà installé dans son coeur. Voyant tout cela, Kazia et ses filles, déjà mariées, lui conseillèrent avec insistance un retour en Allemagne, pensant que c’était finalement là-bas qu’il s’y sentirait le mieux. Mais cette fois-ci, Riwen n’avait plus le courage et encore moins l’intrépidité de caresser un nouveau projet de vie et d’envisager un nouveau départ, lui qui pourtant n’avait jamais hésité à changer de métier, de région, de pays, lui qui fut un battant toute sa vie au sortir de cet univers concentrationnaire, jusqu’à se demander si ce ne fut pas la dureté de l’épreuve qui lui avait donné cette envie de gagner, de vaincre.

Mais l’aventure semblait toucher à sa fin et la proximité permanente de ses très proches devenait une priorité absolue. Ruth, mariée en 1975, divorcera et n’aura pas d’enfant, Renate qui épousa Jean-Pierre Huberman en 1971 donnera naissance à Julie puis Emmanuelle.
Riwen fut un grand-père heureux, sa descendance était française, il en était heureux également. Riwen était de nature très discrète, un homme réservé à l’élégance remarquée, ceux-là mêmes dont on dit qu’ils portent beau. Parfois en retrait, sans doute gêné par la barrière de la langue. Il ne semblait pas vouloir chercher les mots qu’il ne trouvait pas aisément. Ses petites-filles Julie et Emmanuelle ne le voyaient que bien trop peu mais elles se souviennent des soirs de fêtes où Riwen récitait si bien les prières et des plats que Kazia confectionnait avec son savoir-faire.
Vers la fin des années 80, la santé de Riwen devint soudainement difficile.
Himmelfarb, littéralement la couleur du ciel dans la langue de Goethe, luttera avec courage contre la maladie mais pour lui, le ciel s’assombrira définitivement en son domicile parisien le 30 janvier 1991 à l’âge de 77 ans.   

Album de famille
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