Billet : Tolérance ne rime pas toujours avec bienveillance

Par Alain Kaminski

On m’a souvent reproché de ne pas être assez juif, d’être un grand laïc devant l’Eternel. Que mes lecteurs se rassurent, je suis très juif et si je devais l’oublier, que ma main droite me refuse son service, que ma langue s’attache à mon palais, comme pourrait me le rappeler le Livre des Psaumes. Cependant, c’est bien parce que je suis un « enfant d’Israël » que je ressens parfois une plus grande liberté pour apporter un éclairage différent allant jusqu’à la contradiction et un démenti formel à celles et ceux qui avancent des théories relevant de la plus haute fantaisie.
Et malheureusement, ces situations se produisent souvent au mauvais moment, au mauvais endroit, parfois lorsque l’on accompagne un défunt à sa dernière demeure, ce qui m’oblige à la plus grande réserve eu égard au moment de recueillement.
Au cours de ces dernières années, moi qui croyais avoir tout entendu, je ne m’imaginais pas un seul instant qu’on pouvait officier en ne reculant devant rien. Je m’étais rendu aux obsèques d’un ami de mon père, Jacques, pour lequel j’avais toujours eu beaucoup d’affection. Le rabbin débuta la cérémonie devant une veuve en pleurs, des enfants et petits-enfants très affectés, en rappelant que le défunt  avait quitté ce monde dans la joie parce qu’il mourut le jour de Lag Baomer, que la mort pouvait être la joie.
J’étais personnellement bouleversé.
Quelques années plus tard, j’accompagnais un cousin, Jean, emporté par le Covid. Le rabbin nous expliquait que Dieu avait conçu l’homme et que le lien phonétique entre Adonaï et l’ADN n’était pas dû au hasard, faisant totalement litière des travaux gigantesques effectués pour découvrir cette macromolécule dite acide désoxyribonucléique.
J’étais personnellement consterné.
Tout récemment, j’entendais encore que Suzanne avait quitté ce monde pour un monde meilleur, formule très courante, propos qui ne me font pas oublier que mon monde meilleur à moi c’est celui où j’ai mes petits-enfants sur mes genoux, où je serre dans mes bras ma vielle maman centenaire, où je reçois mes amis qui m’apportent nos souvenirs communs en me faisant part de la chaleur de leurs sentiments.
Enfin, il n’y a pas si longtemps, le décès de Meyer mon beau-père. Sa veuve reçoit de la visite, des amis, des voisins et le coiffeur habituel de Meyer.
Celui-ci s’approche de ma belle-mère et lui dit que c’est formidable, Meyer est mort un shabbat, et d’ajouter : « Moi, je rêve de mourir un shabbat ».
Alors, je me calme et en bon juif je resterai tolérant, et homme tolérant je resterai un bon juif.
Messieurs les rabbins, je serai tolérant mais quelques efforts s’imposent à vous, cependant. Vos paroles peuvent être pour certains « paroles d’Evangile » si vous me permettez cette expression malvenue mais que la langue de Molière m’autorise toutefois. Alors prudence dans certaines explications hasardeuses, aussi absurdes que maladroites. Prudence à ne pas banaliser le chagrin.
Mais je serai tolérant pour que le peuple juif reste composé de maillons solidement soudés, de maillons de pur métal.
Et au nom de tous mes lecteurs qui seront d’accord avec moi, rabbins inclus, je le promets.