Portrait : Luba Birkan (1903-1978)
Par son fils Marcel Birkan
Luba (qui a donné le kinui « Lucienne ») Birkan est née à Lodz (Pologne) le 23 février 1903. Elle est la fille de Menahem (qui a donné le kinui « Marcel ») Klubski, né en 1858, et de Baïla Rozenswajg, née en 1862. Elle est la cadette de sept frères et sœurs (deux garçons et… cinq filles ! ).
Par sa mère elle a une grand-mère, la « boubé » Esther, qui s’est mariée deux fois : une première fois avec Moïse Rozenswajg, et une deuxième avec Haïm-Chloïmo Haltrecht. De cette deuxième union est née une branche nommée Halter qui s’installa en Angleterre. Un Halter (Nephtula) est devenu hazan (cantor) à la synagogue de Cannon Street Road à Londres dans les années 1930. Du côté des Klubski, on trouve notamment des tailleurs et des commerçants en confection en gros, demi-gros et détail. Il y a peu il y avait encore un magasin rue de… Levis dans le 17ème arrondissement de Paris !
(Luba Birkan à 16 ans en 1919)
Luba a suivi une éducation scolaire « profane » au lycée Eugenia Krygierowa de Lodz et obtenu son baccalauréat polonais (matura) le 25 mai 1925. Elle commence alors des études supérieures de pharmacie, mais devant les difficultés financières et le numérus clausus elle est obligée d’émigrer en France en 1928. Elle habite à Paris chez son oncle Herman Klubski. Son fiancé, David, la rejoint en 1931, et ils se marient le 16 avril 1931 devant le rabbin, et le… 20 octobre 1931 devant monsieur le Maire ! David est représentant de commerce et Luba « interprète sténographe ». De ce mariage, naissent 2 garçons : Bernard le 2 mars 1937 et Marcel le 19 février 1942.
(Mariage de Luba avec David Birkan, en 1931)
Après la guerre, Luba attend en vain le retour de David qui a été déporté le 22 juin 1942 par le convoi n°3. Il ne reviendra pas. Il est mort dans le camp le 21 août 1942. Luba vit seule avec ses deux enfants. Elle a fait preuve d’une grande volonté, liée à une grande capacité d’adaptation et une lucidité exceptionnelle sur ce qu’il fallait faire pour survivre pendant la guerre, et ensuite pour subsister et donner le meilleur à ses fils. Bernard est devenu professeur de russe et Marcel ingénieur agronome.
(La famille Birkan en 1946 :
Marcel à gauche et Bernard à droite)
Ce courage devant les aléas de la vie s’est manifesté en outre dans le suivi d’un enseignement professionnel de sténo-dactylographie (cours Jamet-Buffereau en 1951), la préparation d’un concours pour devenir fonctionnaire au Ministère des Armées, et… dans le suivi de cours d’hébreu !
Luba est décédée en mai 1978. Elle a juste eu le temps d’avoir vu naître son quatrième petit enfant né le 19 février comme… le père de celui-ci, Marcel !
On ne dira jamais assez combien ses enfants sont redevables du dévouement dont elle a fait preuve (elle ne s’est jamais remariée), elle qui s’est entièrement consacrée à ses fils. Qu’elle en soit ici remerciée et à jamais honorée.
(Luba Birkan en juillet 1972)
Mémoires apocryphes de Maman Luba
Ouiiin ! Il crie, Got zeï dank (Dieu soit loué) ! Je viens d’accoucher d’un mignon petit Marcel Guy à l’hôpital Rothschild à Paris 12ème réservé aux Juifs. Nous sommes le 19 février 1942.
Mon Dieu, qu’il est petit. Ce n’est pas comme mon Bernard, né le 2 mars 1937, qui était un beau bébé bien joufflu. Marcel a été conçu 9 mois plus tôt en mai 1941. Je ne pensais pas alors que mon mari, David, serait arrêté le 20 août de cette même année comme Juif étranger (« apatride » immigré de Pologne) et interné au camp de Drancy.
Dans le camp, il a contracté une sévère sinusite et a été transféré dans ce même hôpital Rothschild. J’étais venu le voir. Je lui avais dit : « Profite d’être là pour t’évader ! ». Mais il m’a répondu qu’il était trop malade et qu’il craignait les représailles sur moi et sur notre enfant. Toujours à l’hôpital, mais sous haute surveillance, il n’a pas pu venir me voir après mon accouchement. Il a juste pu me faire parvenir un petit mot témoignant de son affection « pour moi et bébé », accompagné d’un billet de félicitations « des camarades internés dans la même salle » que lui.
22 juin 1942 : David est déporté depuis Drancy pour je ne sais où.
16 juillet 1942. Je suis à mon domicile au 49 rue Albouy dans le 10ème arrondissement de Paris (devenue la rue Lucien Sampaix). C’est la rafle du Vel d’hiv. Heureusement, avec mon Guy-Guy tout petit on m’a dit, juste au moment de monter dans l’autobus : « Que faites-vous ici avec ce bébé, on ne vous a pas appelés, rentrez chez vous ! ».
Je suis donc rentrée chez moi (une pièce sans eau ni WC), mais je ne peux plus y rester de crainte d’être raflée. Que vais-je devenir avec deux enfants en bas âge ? J’arrive à me cacher ici ou là, mais les enfants entravent mes démarches. Grâce à des connaissances, j’arrive à les placer à différents endroits auprès de plusieurs « nourrices » successives. Certaines sont correctes, d’autres sont méchantes, maltraitant mon aîné. Marcel, lui, est un enfant calme. Entre deux changements de placement, quand je suis avec lui, je n’ose pas trop le regarder, je détourne mon regard. J’ai peur qu’il ne s’attache à moi et qu’il ne puisse pas ensuite supporter la séparation.
Le dernier placement est à Messas (Loiret) près de Blois, grâce au réseau mis en place par le père Devaux et les sœurs de Notre-Dame de Sion de Paris. Le relais du père est Madame Marie Gilles-Legout à Baule (Loiret) qui dispatche les enfants (elle sera désignée Juste parmi les Nations en 2013). Pour l’heure (nous sommes en 1944) j’ai rejoins mes enfants, et la préoccupation majeure est la recherche de nourriture. Le petit Marcel écoute les conversations des adultes. « Ya ya yande à Beaugency ! » (Il y a de la viande à Beaugency) s’écrit-il ! Mais c’est qu’il parle bien celui-là ! J’ai sur moi ma fausse carte d’identité. Sur celle-ci je m’appelle « Lucienne, Joséphine Richard-Birkan », je suis née le « 23 février 1897 à Vigneux (S. et O.) » et j’habite « 14, rue Jeanne d’Arc, Rouen » ! Avec cette carte je peux me procurer des tickets alimentaires de rationnement. Va pour la viande à Beaugency !
Puis c’est la Libération. J’ouvre la porte de mon logement sur lequel on avait mis des scellés : il ne reste plus rien. Je me rends quotidiennement à l’hôtel Lutétia, attendant le retour de mon mari. Les semaines et les mois passent, pas de nouvelles. Je reste seule avec mes deux petits. L’Etat m’attribue généreusement une petite armoire et une maigre pension. J’enchaîne diverses subventions et pratique des petits boulots. Le plus important sera celui de secrétaire dans une association juive. J’ai le bac polonais, j’écris le français que je parle en roulant les « r ».
Vers l’âge de 60 ans, je postule pour un « emploi réservé » au Ministère des Armées. Il faut passer un concours. Je le prépare avec l’aide de… mon sauveur de juillet 1942 et mon donneur d’adresse de boucherie de 1944. Je réussis le concours et moi, l’immigrée juive polonaise, je suis affectée à la « liquidation des pensions ». Nos militaires liquidaient leurs ennemis, et moi je liquidais leur pension !
Mes deux garçons sont désormais mariés : Bernard avec une Tunisienne de Sousse (Simone Scetbon) et Marcel avec une Parisienne du 10ème arrondissement, Rosette Drzazga. J’ai maintenant quatre petits-enfants , une fille et un garçon de Bernard, et deux garçons de Marcel.
Ceux-là je les regarde… droit dans les yeux.
Pour Luba Birkan
Marcel Birkan
Album de famille
(cliquez sur les photos pour agrandir)
Encore une histoire de vie qui témoigne du courage des parents de Marcel et ses ascendants.
Chapeau et respect!