Le Cordon, Mémoires familiales de la Shoah par Marc Danzon

Un morceau de ficelle retrouvé par un incroyable concours de circonstances fait resurgir le souvenir de Dora et Jules déportés dans des conditions sordides le 19 juillet 1943. Ce matin-là, Dora se réveille très tôt. Elle regarde Jules qui dort encore. Elle repense aux belles années d’avant la guerre. Elle regrette de ne pas avoir su profiter pleinement de la douceur de son existence passée, au milieu des siens. Éva, leur fille cadette, échappe par trois fois à l’arrestation. Après la guerre, elle est pressée de se reconstruire et d’oublier, mais sans pardon ni pour Dieu ni pour les bourreaux. Il lui faudra des années et une petite-fille pour commencer à parler et pour faire reconnaître une famille de Justes. L’auteur, le petit-fils de Dora et Jules et le fils d’Éva, naîtra quatre ans plus tard. Il fait partie de la reconstruction et du remplacement des morts. Le poids du silence pèsera sur ses épaules.
Il lui faudra longtemps pour comprendre ce qui s’est passé. Il trouvera dans ce passé des sources positives d’engagement. Près de 60 ans plus tard, le vestige retrouvé donne un nouvel éclairage à ce jour funeste. C’est la clef de ce récit sobre et parfois même humoristique.

 

L’auteur
Marc Danzon est né à Toulouse peu après la fin de la guerre. Il obtient son diplôme de médecin puis de psychiatre. Son attrait pour la santé publique internationale le conduit à l’Organisation Mondiale de la Santé, où il est élu par deux fois directeur de la zone européenne. Marié et père de deux enfants, il profite de sa retraite pour retrouver ses racines et les transmettre par l’écriture.

Extrait
« Les arrestations se multipliaient parmi les porteurs de l’étoile jaune. On était sans nouvelles d’amis très proches. Tous étaient étrangers. Jules les plaignait de n’avoir pas eu sa chance d’être naturalisés.
Dora le regardait avec un mélange de tendresse et de crainte. Elle l’aimait toujours autant après plus de trente ans passés ensemble. Trente-deux ans exactement qu’ils étaient mariés. Elle venait juste alors de fêter ses 20 ans, lui en avait 23. Elle était fière d’avoir séduit un si beau jeune homme. Beau, mais aussi sérieux et travailleur. Ses amies l’enviaient.
À 19 ans, il avait quitté, après ses cinq frères et soeurs, Bacau, sa ville natale, en Roumanie. Son père, veuf depuis déjà de longues années, ne faisait pas partie du voyage. Malade et trop âgé, il vit partir ses enfants en sachant au fond de lui qu’il ne les reverrait plus jamais. Malgré cela, il les avait encouragés à quitter ce pays à l’antisémitisme grandissant. « Allez construire votre avenir ailleurs », leur avait-il dit.
L’un après l’autre, les six enfants avaient suivi les conseils de leur père. Jules fut le dernier à quitter le vieil homme. Avant-dernier de la fratrie, il était le plus proche de son père. Il savait combien de sacrifices celui-ci avait consenti pour élever seul sa nombreuse progéniture. La séparation avait été déchirante pour les deux hommes. Leur au-revoir était en réalité un adieu. Tous deux en étaient bien conscients, même s’ils se promirent de se retrouver bientôt. La séparation des familles est une conséquence cruelle de l’émigration.
Lazare mourut quelques années plus tard sans avoir revu ses enfants. Dora se souvenait du chagrin de son mari quand il avait appris la nouvelle. Ce fut la seule fois qu’elle le vit pleurer. En 1908, Jules débarqua à Paris. »

Le Cordon, un livre de Marc Danzon, paru aux éditions l’Harmattan