Portrait : Isaac Israël Regenman (1896-1972)

Par sa petite-fille Laurence Benbassat

Mon grand-père Isaac Israël Regenman naquit à Varsovie en 1896, il est le cinquième enfant d’une fratrie de huit, quatre garçons et quatre filles.
Tout le monde l’avait toujours appelé Itché. Il était bourrelier, il travaillait le cuir, fabriquait et réparait des pièces d’attelage pour les chevaux.
En 1918 il épouse Syma Frydman, ma grand-mère. Ma mère Haya devenue Hélène nait à Varsovie en mars 1920. Ils décidèrent de venir à Paris. 
Itché part le premier, il travaille comme ouvrier sellier chez Renault, à une époque où les sièges des voitures étaient en cuir. Il fait venir sa femme et sa fille, ma mère, trois ans plus tard.

(Isaac Israël Regenman en 1921)

Une vie de commerçants

Mes grands-parents ouvrent alors une épicerie rue des Amandiers, à Paris XXème.
Ma mère a décrit cette épicerie dans ses souvenirs : il y avait de la charcuterie dans des grands plats, ma grand-mère préparant elle- même le pickel. On trouvait des tonneaux de cornichons, des tonneaux de harengs, et dans un bassin, des carpes vivantes destinées à la préparation du gefilte fish pour le vendredi soir.
Mon grand-père partait vers 5h du matin faire les achats aux Halles, et ma grand-mère ouvrait la boutique vers 6h jusqu’à 21/22h le soir. c’était ouvert tous les jours, ne fermant que le jour de Kippour
Ma mère m’a raconté qu’à Pessah, mon grand-père livrait les clients à domicile à l’aide d’une voiture à bras, de grandes quantités de matsot, de matse mehl, d’oeufs, d’huile et de vins.
Naissance de ma tante Suzanne en 1928.
Mes grands-parents ont été naturalisés en 1933, ainsi que ma mère.
En 1935, ils vendent cette boutique et en achètent une plus grande, avec une vitrine rue d’Avron, toujours dans le XXème.

(Isaac et Syma Regenman en 1923)

Les années de guerre

Lors de la déclaration de guerre en septembre 1939, Itché est donc mobilisable, mais en raison de son âge il est démobilisé en décembre 1939.
En mai 40, à la suite de l’invasion de la Belgique, ma mère et mon grand-père ont pensé qu’il leur fallait un point de chute, au cas où il faudrait fuir. Mais alors où ? Au sud de la Loire ? Une aiguille plantée sur une carte indique Rocamadour. Itché est parti le soir même en train puis est revenu 24 h plus tard, ayant loué une maison. En juin 40 ils partent à Rocamadour en train.
Finalement mon grand-père est revenu à Paris courant juillet, et puis toute la famille est rentrée à Paris.
Ils ont alors été confrontés aux lois anti-juives : le magasin a été “aryanisé”. Les rafles ont commencé (août 41, décembre 41) et les trois frères de mon grand-père ont été arrêtés. Ma mère, inquiète, a trouvé un passeur pour faire traverser la ligne de démarcation à Itché.
Et après la rafle du 16 juillet ils ont tous réussi à partir à Rocamadour. Ils ont vécu dans un vieux couvent jusqu’en septembre 1944.
Quand ils sont rentrés, leur appartement était occupé… par un flic ! Il leur a fallu dix mois pour que l’appartement leur fût rendu.
Mes grands-parents ont alors repris l’épicerie.

(Isaac Israël Regenman mobilisé, en 1940)

Une nouvelle aventure

Un jour, un ami demandait à ma grand-mère de participer à la préparation du mariage de sa fille. Mon grand-père eu l’idée de devenir traiteur.
Au début ils préparaient chez des particuliers, puis ils ont loué des salles, tantôt là, tantôt ailleurs. Puis ils ont conclu un accord avec le propriétaire du Pavillon Dauphine de l’époque et ils y étaient tous les dimanches (ou presque) pour des mariages ou des bar-mitsva.
Ma grand-mère faisait presque tout elle-même : pickel, langue, foie haché, gefilte fish, käse kichen, stroudel. Et le dîner était directement préparé dans les cuisines du Pavillon Dauphine. Bien entendu ce n’était pas cacher mais il n’y avait pas de porc.
Par ailleurs La houpa se tenait au salon.
Ma grand-mère, toujours très discrète, restait en cuisine. Mais mon grand-père était en salle et il lui arrivait de prendre un tambourin et de chanter.
En regardant des photos de mariage de parents d’amis il n’était pas rare de retrouver mon grand-père sur ces photos.

(Isaac Israël Regenman derrière un gigantesque buffet au Pavillon Dauphine, en 1954)

Ma bien aimée grand-mère rendit son dernier soupir en 1962, ce fut la fin d’un époque et d’une aventure, l’affaire a été vendue.
Itché est décédé en 1972. il était membre depuis son arrivée en France d’une Société mutualiste dite Les Amis de Varsovie. C’est le Président de ladite Société lui-même, qui était son ami, qui fit un discours émouvant le jour de ses obsèques. Il a tellement bien évoqué la vie d’Itché, sa personnalité, non sans livrer des détails « succulents » qui ont jalonné tout son parcours si bien que j’ai éclaté de rire au cimetière.

(Isaac Israël Regenman en 1954)

Album de famille
(Cliquez sur les photos pour agrandir)