Les patronymes : Le tour d’Europe des noms de famille

Par Alain Kaminski

Les patronymes juifs ont souvent une quintuple origine. Ils sont parfois filiation, parfois métier ou encore localité mais l’aspect physique ou dame nature naviguent à travers toute l’Europe.
Partons pour un voyage à caractère mémoriel, culturel et sentimental qui nous plongera dans la merveilleuse histoire des patronymes.
Cap vers le Portugal qui nous rappelle que du patronyme Pereira (un poirier) une descendance célèbre, les frères Isaac et Emile Pereire, fut à l’origine de la création des grandes lignes de chemin de fer français. Un peu plus loin, les juifs d’Espagne portaient souvent le nom de leur ville, Marciano pour Murcie, Barchilon pour Barcelone ou encore Cacerès.
Allez,  un petit tour en Italie où d’origine polonaise ils étaient des Polacci, natifs de Pise des Pisa, de Parme des Parmero ou de Ferrare des Finzi rendus célèbres par la caméra de Vittorio de Sica dans le Jardin des Finzi-Contini. N’oublions pas le banquier Angelo Donati de Modène qui finança pendant la guerre le sauvetage de milliers de juifs avec son ami le prêtre capucin Père Marie-Benoît, Juste parmi les Nations, que j’ai eu le privilège de connaître.
De l’autre côté de l’Adriatique, la Grèce avec ses noms qui chantent les villes espagnoles, Toledo, Zaragoza, italiennes avec Modiano, Veneziano, ses noms bibliques Saltiel, Ezekiel, et ses célébrités Albert Cohen, Georges Moustaki.
Dans les Balkans une mixité de romaniotes, d’ashkénazes venus d’Europe centrale et de juifs turcs ; les patronymes de Bulgarie furent semblables à leurs petits frères grecs, serbes ou croates avec beaucoup de Cohen, de Levy, et des consonances espagnoles, Gattegno, Bueno, des noms hébraïques Melamed (enseignant) Mizrahi (l’oriental) Nahoum le nom du prophète.
Allons sur le beau Danube bleu où les juifs hongrois avaient adopté des prénoms très locaux, on trouvera chez eux des Théodore comme Herzl, Laszlo, Imre, ou même Attila. Leurs noms étaient souvent germaniques, Schwarz (noir) ou Fekhete en hongrois, Weisz (blanc) et aussi bibliques, clin d’œil à Michel Jonasz.
La Roumanie avec jadis une importante communauté juive à Bucarest et à Iassy, les nombreux Croitoru (le tailleur) mais surtout le suffixe -ci dérivé du suffixe slave vitch, fils de, qui nous donne les Leibovici, Moscovici, et un petit clin d’œil à mon ami Ciubotariu (cordonnier) et aussi le cinéaste Radu Mihaileanu.
Direction, Allemagne -Autriche avec des noms rappelant les villes, Spire avec les Shapiro, Ulm avec les Ulmo, Dantzig avec les Dantziger, ou Vienne avec les Wiener mais aussi Miller, le meunier ou Storch la cigogne. Mais les métiers et l’aspect physique restaient très présents, le cordonnier Schumacher, le gros Gross sans oublier des célébrités, Stefan Zweig (la branche) Sigmund Freud (la joie). On poursuivra avec la Lituanie ou le suffixe slave wicz mute en vicius comme chez le cinéaste Michel Hazanavicius.
Grand saut du côté de la Perfide Albion où un commerçant de Biélorussie, Michal Marks, s’associait avec son caissier Thomas Spencer pour fonder Marks and Spencer pendant que d’autres fraîchement arrivés se fondaient dans des noms très british, les Szajn (joli) devenaient Shane et « my Sznajder (Taylor) is rich ».
En France, arrivée des juifs d’Afrique du Nord mais qui pourrait oublier le Comtat-Venaissin avec ses juifs du Pape, Carpentras et sa plus ancienne synagogue de France encore en service, et ses illustres Alphandéry, Crémieux ou Milhaud.
Enfin, les grands classiques que l’on retrouvera à travers toute la Pologne, la Russie, l’Ukraine, la Moldavie, en yiddish ou en polonais, Apelbaum le pommier, Blumenfeld le champ de fleurs, Goldberg la montagne d’or, Warszawski de Varsovie et les amis de mon grand-père, Gaska l’oie ou Kaszka le canard. Aussi Melnik le meunier ou Kucharski le cuisinier sans oublier Fiszbein l’arête de poisson. Les juifs d’Europe centrale me passionnent par leurs noms et mon défunt père, parlant de ses amis, me rappelait que la barbe avait toute sa place en Pologne. Il y avait Albert Czarnobroda, un « mentch », ancien président du KKL, littéralement barbe noire mais il aimait bien Byalobroda, barbe blanche et avait beaucoup d’affection pour Zoltobroda, barbe jaune.
Ces merveilleux patronymes venus de toute l’Europe forment une chaîne d’union qui nous lie dans le temps, elle nous vient du passé et tend vers l’avenir.
Nous sommes ainsi rattachés à la lignée de nos ancêtres.

Publié dans le n°1610 d’Actualité Juive le 5 Août 2021